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n’ignorait pas cependant qu’en montrant à découvert aux puissances étrangères tous les obstacles qu’il trouve à aller étouffer la contre-révolution espagnole, il se liait les mains de plus d’une manière dans ses négociations ; mais c’était à la chambre qu’il avait affaire. En ce moment, c’était le président du conseil, le ministère entier qu’il fallait secourir. M. Molé crut bon d’aller au plus pressé. Il rappela les jours de puissance de Napoléon à l’époque du traité de Tilsitt, quand il se décida à entrer en Espagne, et il montra comment le conquérant en était sorti. Il étendit la main vers l’Orient, où la vigilance la plus habile nous fait tenir nos flottes en mouvement depuis plusieurs mois ; vers l’Afrique, où le sol est encore ébranlé de sa dernière secousse sous le pied de nos soldats ; vers le Rhin, où deux cent mille hommes suffiraient à peine en cas d’une collision, qu’une campagne malheureuse en Espagne pourrait rendre possible. Enfin, il montra les nécessités de tous les genres qui nous entourent, parmi lesquelles il faut placer en première ligne, comme l’a répété M. Guizot, celle de nous tenir prêts à intervenir partout où il serait besoin, repoussant ainsi, comme par la méthode homéopathique, l’intervention par l’intervention.

Et qu’on ne dise pas que M. Molé cherchait, en parlant ainsi, d’autre but que celui de faire passer ses appréhensions dans la chambre ; qu’on n’allègue pas qu’il voulait se concilier quelques cabinets étrangers, qui redoutent notre intervention en Espagne, tout en la désirant peut-être, dans l’espoir qu’elle nous attirera des embarras. M. Molé sait que l’Italie est ébranlée de la question espagnole, c’est-à-dire que les gouvernemens italiens se montrent plus difficiles dans leurs relations avec nous, selon les succès ou les défaites de don Carlos, et qu’ils ne seraient pas maniables, une fois que le prétendant serait entré à Madrid. Le ministre des affaires étrangères sait cela mieux que personne et cependant le président du conseil n’en craint pas moins l’intervention. M. Molé, pour citer un exemple contraire, sait aussi que la Russie ne verra dans l’adresse que le passage relatif à la Pologne et que le ministère qui ne l’a pas combattu, ou combattu en termes qui équivalaient presque à l’insertion du passage, ne sera pas vu d’un œil plus favorable que par le passé à Saint-Pétersbourg, qu’il veuille ou non l’intervention. Les raisons de M. Molé étaient donc toutes françaises, toutes prises dans des considérations intérieures ; c’est aussi dans ce sens qu’elles ont été reçues et goûtées. Ceci fait, ce point gagné par le président du conseil, il restera au ministre des affaires étrangères à s’arranger avec les puissances ; et il est assez habile et consommé pour remplir cette tâche qui le regarde, sans appeler la chambre à son secours.

M. Thiers nous a montré l’autre face de cette médaille : l’affaiblissement de notre alliance avec l’Angleterre, la force donnée aux puissances du nord par une contre-révolution au midi, le Portugal arraché à la quadruple alliance, la rupture de la ligue constitutionnelle du sud. M. Thiers a vu en Europe, et d’un long coup d’œil, toutes les conséquences de la non-intervention ; M. Molé y a vu celles de l’intervention avec toute la sagacité d’un esprit non moins pratique. On peut dire que sous ce double point de vue, les deux dis-