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DE LA CHEVALERIE.

aborder, c’est la chevalerie elle-même. Il résulte de ce que nous avons déjà vu qu’elle a des analogues dans un certain nombre de pays et de siècles, qu’elle tient à une tendance naturelle à l’ame humaine. Il nous reste à voir cette tendance se réaliser, et la chevalerie, ébauchée, pour ainsi dire, en beaucoup de lieux, s’accomplir sous les influences qui ont présidé au développement de la société moderne, surtout sous celle de ces influences à laquelle notre société doit tout ce qu’elle a de vie morale, l’influence du christianisme.

ii.
DE LA CHEVALERIE AU MOYEN-ÂGE.

Ce mot chevalerie n’est pas le nom primitif du fait qu’il exprime. Dans l’origine, le nom du chevalier fut miles, le soldat, le brave d’élite, comme en grec ἥρως, dans les langues du Nord kempe, en persan pelevan. L’idée d’une vaillance d’élite n’a pas tardé à s’appliquer aux guerriers qui servaient à cheval, et ceci tient surtout à la manière de combattre usitée au moyen-âge, dans ce temps où les carrés d’infanterie n’étaient pas encore inventés. L’infanterie n’existait pas véritablement ; les fantassins se groupaient autour des hommes d’armes à cheval, formaient leur suite, leur entourage, plutôt qu’une arme indépendante. Tout guerrier éminent eut la prétention de combattre à cheval ; encore au ixe siècle, selon l’annaliste de Fulde, les Franks dédaignaient de combattre à pied. Cette désignation n’est pas non plus sans analogue dans d’autres temps et chez d’autres peuples. Nous voyons dans Homère Nestor désigné par le nom d’ἱππότης, cavalier ; chez les Arabes, le guerrier par excellence s’appelle faris, qui a le même sens. Des peuples entiers ont pris ce nom comme une appellation héroïque ; les mots perses et parthes veulent dire cavaliers.

La première question à se faire avant de parler de la chevalerie, c’est de se demander si elle a été : on a prétendu que primitivement elle n’existait que dans l’imagination des romanciers ; la société l’aurait reproduite par voie d’imitation ; la société aurait été l’expression de la littérature. Sans doute, il y a eu une action de la littérature chevaleresque sur la société ; mais cette fois, comme toujours, cette action de la littérature sur la société a été une réaction. La première n’a fait que rendre à la seconde les influences qu’elle en avait reçues. Toute tendance morale, bonne ou mauvaise, qui se manifeste par la production d’une littérature, a toujours sa racine dans la réalité sociale. Cer-