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LA DERNIÈRE ALDINI.

Je ne sais si un autre à ma place aurait pu conserver de l’amour pour la jeune Aldini. À bien prendre, je l’aurais pu sans crime, car vous vous rappelez que j’étais resté l’amant chaste et soumis de sa mère. Mais ma conscience se soulevait à la pensée de cet inceste intellectuel. J’aimais la Grimani avec son prénom inconnu, je l’aimais de tout mon cœur et de tous mes sens ; mais Alezia, mais la signorina Aldini, la fille de Bianca, en vérité je ne l’aimais pas ainsi, car il me semblait que j’étais son père. Le souvenir des graces et des qualités charmantes de Bianca était resté frais et pur dans ma vie ; il m’avait suivi partout comme une providence. Il m’avait rendu bon envers les femmes et vaillant envers moi-même. Si j’avais rencontré depuis beaucoup de beautés égoïstes et fausses, du moins cette certitude m’était restée, qu’il en existe de généreuses et de naïves. Bianca ne m’avait fait aucun sacrifice, parce que je ne l’avais pas voulu ; mais si j’eusse accepté son abnégation, si j’eusse cédé à son entraînement, elle m’eût tout immolé, amis, famille, fortune, honneur, religion, et peut-être même sa fille ! Quelle dette sacrée n’avais-je pas contractée envers elle ! Étais-je pleinement acquitté par mes refus, par mon départ ? Non, car elle était femme, c’est-à-dire faible, asservie, en butte à des arrêts implacables et aux insultes plus amères encore de l’ironie. Elle eût affronté tout cela, elle, si craintive, si douce, si enfant à mille égards. Elle eût fait une chose sublime, et moi en acceptant j’eusse fait une lâcheté. Je n’avais donc accompli qu’un devoir envers moi-même, et elle s’était exposée pour moi au martyre. Pauvre Bianca, mon premier, mon seul amour peut-être ! comme elle était restée belle dans mon souvenir ! Mon Dieu, me disais-je, pourquoi ai-je peur qu’elle soit vieillie et flétrie ? ne dois-je pas être indifférent à cela ? l’aimerais-je encore ? non sans doute ; mais, laide ou belle, pourrais-je aujourd’hui la revoir sans danger ? — Et à cette pensée mon cœur battit si fort, que je compris combien il m’était impossible d’être l’époux ou l’amant de sa fille.

Et puis, me prévaloir du passé (ne fût-ce que par une muette adhésion aux volontés d’Alezia), pour obtenir la fille de Bianca, c’eût été une action déshonorante. Faible comme je connaissais Bianca, je savais qu’elle se croirait engagée à nous donner son consentement ; mais je savais aussi que son vieux mari, sa famille et son confesseur surtout, l’accableraient de chagrin. Elle avait pu se remarier et faire un second mariage de convenance ! Elle était donc au fond femme du monde, esclave des préjugés, et son amour pour moi n’était qu’un sublime épisode, dont le souvenir peut-être faisait sa honte et son