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LE MAROC.

teux. D’abord, à moins d’avoir une mission spéciale de quelque gouvernement, il est très difficile d’obtenir la permission de s’avancer dans le centre de l’empire. Pour aller à Tétouan, à Azile ou même à Larache, une simple autorisation du kaïd suffit ; mais quand il s’agit de la capitale et des autres villes de l’intérieur, ce n’est plus cela : il faut une autorisation spéciale de l’empereur. Voici la marche à suivre. Débarqué à Tanger, le voyageur, quel qu’il soit, s’adresse à son consul pour obtenir, par son entremise, la licence impériale. La demande est rédigée en arabe par le taleb ; le consul l’expédie par un messager à Miquenez ou à Fez, suivant que la cour marocaine se trouve dans l’une ou l’autre de ces deux villes ; le messager met quinze jours d’ordinaire à faire le voyage. Arrivé à sa destination, il lui faut attendre le bon plaisir des ministres, car les affaires ne se dépêchent guère plus vite au Maroc qu’au ministère de l’intérieur, surtout si le porteur de la requête est venu les mains vides et sans engagemens positifs. Je dis engagemens, car il n’est prudent, dans aucun cas, d’envoyer les cadeaux d’avance ; on ne prend les Maures que par l’espérance ; promettez, mais ne donnez qu’après.

Enfin la réponse impériale est expédiée, et le messager reprend la route de Tanger ; autre quinzaine de route. Tout cela, bien entendu, voyage, séjour et cadeaux, aux frais du pétitionnaire. Si la réponse est négative, ce qui est plus que probable, il en est pour ses déboursés, et il ne lui reste plus qu’à se rembarquer. Si la réponse est favorable, voici comment les choses se passent. L’ordre est donné, par l’empereur, à toutes les tribus intermédiaires entre la capitale et Tanger, de se mettre sous les armes afin d’escorter le voyageur. Il ne s’agit plus d’une escouade de cinq ou six hommes ; c’est une armée cette fois qui l’attend au passage et qui se relève de tribu en tribu, comme des gendarmes de brigade en brigade. La comparaison est d’autant plus juste que cette garde soi-disant d’honneur borde la baie des deux côtés, sans permettre que le voyageur dévie de la ligne droite et fasse un seul pas dans la campagne ; la défiance indigène est intraitable à cet égard, et il ne serait pas prudent de l’alarmer, fût-on même l’envoyé du plus grand prince européen. Emprisonné dans son itinéraire inflexible, notre voyageur, ou plutôt notre captif, chemine comme un proscrit qu’on mène à la frontière, et, ce qui est le plus dur, c’est qu’il lui faut défrayer durant tout le voyage cette armée incommode ; il est vrai qu’en revanche elle lui brûle beaucoup de poudre sous le nez et lui tire force coups de fusil dans les oreilles. Malheur à lui si quelque tribu rebelle se trouve sur son