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passage, car elle obéit de mauvaise grace aux ordres du souverain ; et, le fanatisme servant de masque à la religion, ces salves d’honneur peuvent devenir meurtrières.

Le soir on dresse la tente et l’on campe pour la nuit, à moins que l’on ne se trouve à la proximité de quelque ville ou bourgade. Mais l’hospitalité qu’on y reçoit est loin d’être gratuite, car, en échange du kouskousou d’honneur, il faut faire au kaïd ou bacha qui l’envoie des présens ruineux. Quand la ville n’est pas sur l’itinéraire du voyageur, ces autorités faméliques viennent l’attendre sur le chemin pour le rançonner.

Enfin on arrive à Fez. Là, la captivité de l’Européen devient plus étroite ; il ne peut passer que par certaines rues qui lui sont assignées, et toujours entre deux rangs de soldats. C’est ainsi qu’il voit les curiosités du lieu, y compris le palais impérial, qui est la principale. Il n’est pas besoin de dire que partout il faut financer, et surtout chez l’empereur ; étant le plus puissant, il est naturellement le plus avide. Quand le terme du séjour est expiré, et il est d’ordinaire fort court, le voyageur est congédié, et il s’en retourne à Tanger de brigade en brigade, comme il en est venu, avec huit ou dix mille francs de moins dans sa bourse, pour un voyage qui n’est guère plus long, en ligne droite, que celui de Paris à Caen.

Une pareille manière de voyager a peu d’attrait, surtout quand on est seul, et ne saurait convenir qu’à des fortunes de prince. Il faudrait, pour voir le pays et pour étudier la population, prendre le parti que prit Caillié dans son voyage de Tombouctou ; il apprit la langue de manière à la parler couramment, il pénétra des cérémonies religieuses, afin de les pratiquer comme un vrai croyant, et, quittant l’habit européen pour l’habit maure, il se mit à voyager comme un indigène. Un jour M. Méchain le vit entrer chez lui dans un état affreux ; il arrivait du Soudan, et il avait traversé tout l’empire, seul, à pied, sans argent, presque en mendiant ; un si terrible voyage avait épuisé ses forces, et son imagination était frappée par les dangers de toute espèce qu’il avait courus. Le moindre soupçon éveillé contre lui dans le cœur de ces barbares eût été sa sentence de mort, et l’intrépide voyageur eût péri obscurément sur cette terre inhospitalière. Il lui fallut du temps pour se rasséréner, et il était au consulat sous la protection du pavillon français qu’il se croyait encore seul à la merci des implacables ennemis du nom chrétien. Ce courageux pèlerin de la science a écrit son voyage, et s’est acquis, par cet ouvrage sincère et attachant, une juste célébrité.