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dins, quoiqu’ils soient à la porte de la ville. La villa d’Amérique, la plus éloignée de toutes, et de beaucoup, est abandonnée et commence même à se dégrader. On n’y va plus qu’en promenade. Un vieux jardinier maure et une juive renégate, sa femme, sont les seuls habitans de ce ravissant désert.

Il est dommage que cet Éden soit condamné à la solitude, car on ne saurait imaginer nulle part une vue plus admirable. On domine, du haut de ce belvédère périlleux et sacré, toute la campagne de Tanger et tout le détroit de Gibraltar, fermé au nord par les magnifiques montagnes de la côte espagnole. Du côté opposé s’étendent à perte de vue de vastes bruyères tristes, monotones, solitaires, digne vestibule des déserts africains.

Une excursion qu’il ne faut pas non plus manquer de faire est celle du cap Spartel. Celle-là est un peu plus longue, le cap est à dix ou douze milles de Tanger. La route, ou plutôt le sentier qui y mène, est à peine battu ; il faut le chercher et souvent le tracer soi-même à travers les prairies, les landes et les taillis ; on côtoie d’assez près d’abord le pied du Gébel-Kébir, laissant à droite quelques hameaux perdus aux flancs de la montagne ; on entre ensuite dans une vaste plaine toute couverte de halliers. Le cap est au bout. Il forme l’extrémité septentrionale d’une branche du petit Atlas, détachée du tronc principal aux environs de Teza, et qui vient mourir ici, tandis que la grande chaîne poursuit son cours vers l’orient et s’en va longer la Méditerranée. Le cap Spartel tombe dans l’Océan, ou mer des ténèbres, Bahr-Ed-Dholma, comme l’appellent les Maures ; ils la nomment encore Bahr-En-Kébir, mer grande, pour la distinguer de la Méditerranée, qui est pour eux la petite mer, Bahr-Es-Saghir. C’est un haut promontoire, comme celui de Sumium, taillé à pic de tous les côtés et jeté en éperon dans les flots. Les anciens l’appelaient Ampelusium. La vague a creusé dessous plusieurs cavernes, dont une, plus spacieuse que les autres, était consacrée à Hercule, le patron païen du détroit. Aujourd’hui elle est toute percée à jour. Les habitans en extraient des meules qu’ils détachent des parois après les avoir taillées sur place, de manière que la grotte se trouve criblée d’une énorme quantité de trous ronds à travers lesquels on voit le bleu du ciel de la mer. Quelques manœuvres demi-nus et noircis du soleil travaillaient au fond de l’antre ; vus d’en haut, ils avaient l’air de véritables cyclopes.

Au nord s’élèvent les dernières crêtes du Gébel-Kébir ; au midi, l’œil plane à perte de vue sur une plage inculte et nue, qui était alors couverte de troupeaux noirs. Cette plage s’étend de la baie de Gérémie,