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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/317

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LE MAROC.

qui s’ouvre au-dessous du cap, jusqu’à Azile, chétive bourgade, près de laquelle débarqua, en 1578, l’armée portugaise de ce chevaleresque don Sébastien, qui venait à la conquête du Maroc. Il s’avança en vainqueur jusque auprès d’Al-Kassar-Kébir, où l’attendait l’armée marocaine, là son étoile pâlit, il perdit la bataille et la vie, et avec lui périrent deux princes maures, ce qui fit appeler cette rencontre sanglante le combat des trois rois[1]. Plus au midi d’Azile est la ville de Larache, ou El A’raisce, aux environs de laquelle les géographes placent le fameux jardin des Hespérides. La grande abondance d’orangers qui croissent autour de cette ville semble justifier l’hypothèse et les innombrables sinuosités du fleuve Luccos, qui en baigne les campagnes, figurent les replis du dragon qui gardait le jardin fabuleux. Ici, comme en tant d’autres lieux, le mythe n’aurait été que la personnification poétique d’un fait naturel.

En face du cap Spartel s’élève sur la côte d’Europe le cap Trafalgar, dont un grand fait militaire a immortalisé le nom. Les deux promontoires sont en présence, comme deux ennemis qui se mesurent de l’œil, et ils représentent, par leur éternel éloignement, celui des deux mondes dont ils forment l’extrême limite. Les abîmes que la mer creuse entre les deux caps sont moins profonds que ceux que la nature, la religion, les civilisations respectives, ont creusés depuis tant de siècles entre le peuple européen et le peuple africain ; je dis peuple, car aussitôt qu’on a quitté l’Europe la nationalité disparaît, ou plutôt s’étend ; en Afrique, on n’est plus Français, Anglais, Allemand ou Espagnol, on est Européen. La question de l’avenir n’est plus guère, ce me semble, entre les nations européennes ; leurs rapports doivent se modifier sans doute, et, d’artificiels et hostiles, devenir rationnels et bienveillans ; Cette révolution est la première à accomplir ; mais, à voir les choses de haut, elle n’est pas la plus difficile. Malgré les dissidences actuelles, les nations européennes ont une même origine ; elles sont sorties du même berceau. Trempées toutes aux sources du christianisme, elles ont un fonds commun d’idées, de croyances, de mœurs, de préjugés même, qui opérera leur union dans un avenir qu’on peut dès aujourd’hui regarder comme prochain. Mais la grande question, la question difficile, est entre l’Europe et l’Afrique d’une part, et l’Europe et l’Asie de l’autre. Comment ralliera-t-on la vie européenne des races si dissemblables par leur nature et imbues de

  1. Je trouve dans l’histoire du Maroc un Abd-el-Kader, fils du roi Muley-Mohamet, qui se distingua par sa valeur dans les guerres intestines de l’empire quelques années avant l’expédition de don Sébastien.