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croyances si diverses, si étrangères, si haineuses ? Réussira-t-on jamais à fondre dans la religion occidentale le fanatique islamisme de l’Afrique et les vieilles traditions de l’Inde et de la Chine ? Et si cette fusion ne s’opère pas, si chaque peuple fait secte à part et adore son dieu particulier, pourra-t-on dire l’unité fondée moralement ? Or, sans l’unité morale et religieuse, que devient l’unité politique ? Peut-elle exister ? Tels sont les problèmes immenses, nécessaires, que le présent propose à l’avenir, et dont la solution est réservée à des générations moins sceptiques que les nôtres et plus heureuses.

Quand je n’étais pas en course, je passais mon temps avec les consuls, dont quelques-uns connaissent bien l’empire, grace à un long séjour et à des études spéciales. La plupart des nations maritimes de l’Europe payaient autrefois au gouvernement marocain un tribut ou subside, dont toutes, excepté deux, se sont successivement affranchies. Les deux cours demeurées tributaires sont le Danemark et la Suède. Le premier paie 25,000 thalers par an, et l’autre seulement 20,000. Cette condition humiliante place les consuls de ces deux puissances dans une position délicate vis-à-vis de leurs collègues. En revanche, ils ont les deux plus beaux jardins qui soient à la porte de Tanger ; celui de Danemark est une véritable villa italienne pour l’étendue, l’arrangement et la beauté des ombrages. Le jardin de Suède est plus près de la ville ; il touche au cimetière chrétien, et communique même avec lui. Ce voisinage lui donne quelque chose de triste et de sévère que n’ont pas les autres.

Il n’y a pas de pire oisiveté que celle qui est produite par l’attente ; on n’a l’esprit à rien, et l’on ne saurait rien entreprendre de suivi. C’était mon cas à Tanger ; j’attendais d’un instant à l’autre quelque arrivage, et je passais de longues heures sur les terrasses des consulats, la lunette braquée sur le détroit. C’est là, du reste, l’occupation la plus importante de bien des consuls. Je vis passer devant moi beaucoup de bâtimens, qui, de l’Océan, entraient à pleines voiles dans la Méditerranée ; mais aucun ne touchait à Tanger, ni à Gibraltar. On ne peut rien imaginer de plus gracieux et de plus poétique que le passage rapide de ces navires à travers le détroit ; on dirait des oiseaux de mer rasant les flots.

Cependant le vent d’ouest avait cédé ; une corvette anglaise, the Scount, était arrivé de Gibraltar, ramenant à Tanger une partie de la famille du consul britannique. L’occasion était bonne pour repasser en Europe ; le capitaine voulut bien me prendre à son bord, et, le vent étant revenu de l’est à l’ouest, la corvette remit à la voile pour Gi-