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formidable mont des Sept-Frères, aux flancs duquel on voyait distinctement les villages et les adouars des sauvages d’Angiara. Un silence profond régnait sur cette solitude tant de fois ensanglantée. La ligne espagnole est gardée par un poste de cavalerie, et une vedette est placée jour et nuit en observation à l’extrême limite. De l’autre côté est un corps-de-garde arabe, et plus loin une espèce de camp ou sérail où il y a une mosquée, et où l’empereur tient une garnison sous les ordres d’un mokaddem (colonel). La grande crainte de cette garnison est que, de Ceuta, on ne pratique des mines sous ses pieds, et qu’un beau jour on ne la fasse sauter. Rien ne peut la rassurer à cet égard, et elle vit dans une perpétuelle angoisse.

Trois sentinelles étaient accroupies devant une espèce de tente en forme de hutte, avec leurs escopettes à côté d’elles. J’admirais leur impassible immobilité pendant notre reconnaissance ; nous avions avec nous plusieurs officiers de Gibraltar dont le brillant habit écarlate aurait dû frapper les yeux des Maures : ils n’avaient pas même l’air de les apercevoir ; enveloppés dans leur bournouss et leur haïk blancs, ils ne faisaient pas un mouvement et ne donnaient pas à notre vue un signe de curiosité ; ils avaient les yeux fixés sur le drapeau espagnol arboré au sommet du mont Acho, et toutes leurs pensées semblaient s’absorber dans cette haineuse contemplation ; notre présence ne faisait sans doute qu’attiser la haine dans ces cœurs vindicatifs, et ils s’indignaient que des infidèles osassent les braver de si près, et souiller de leurs pieds la terre des croyans. Pendant ce temps la civilisation européenne caracolait insolemment devant eux sous la figure du dragon commis à notre garde ; le contraste était frappant : jamais l’hostilité des deux races rivales ne m’était apparue sous des couleurs aussi vives, aussi tranchées, et cette promenade nous fit à tous une impression dont le souvenir sera durable. Nous rentrâmes dans la place, suivis des malédictions muettes des enfans du prophète.

On a beaucoup dit, dans ces derniers temps, que l’empereur du Maroc, informé de l’état de troubles et de déchiremens où se trouvait l’Espagne, songeait à en profiter pour ressaisir Ceuta et les autres places arrachées de sa couronne ; le moment serait en effet propice, mais il est douteux qu’il pousse jusqu’à l’exécution ses velléités conquérantes ; le pavillon français qui flotte sur la Kassaba d’Alger protége de loin les possessions espagnoles du Maroc. L’effet de cette conquête, la plus légitime de toutes les conquêtes, a été grand sur la cour marocaine, et de long-temps elle n’osera se porter à aucune extrémité violente contre les chrétien. Elle pourra bien assister clandestinement