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LA DERNIÈRE ALDINI.

comme deux lampes derrière un rideau. — Et où l’as-tu fait entrer ? — Dans le petit salon de la signora Checchina, pendant que la signora s’habille pour la recevoir. — C’est bien, Cattina ; sois discrète, puisqu’on te l’a commandé.

Je restai incertain si c’était Alezia qui venait se confier à la Checchina. Je devais l’empêcher sur-le-champ et à tout prix de rester dans cette maison où chaque instant pouvait contribuer à la perte de sa réputation ; mais si ce n’était point elle, de quel droit irais-je interroger une personne qui sans doute avait quelque grave intérêt à se cacher de la sorte ? De ma fenêtre je n’avais pu juger la taille de cette femme voilée qui tout à coup s’était trouvée placée de manière à ce que je ne visse que le sommet de sa tête. J’avais examiné le domestique pendant qu’il emmenait les chevaux à l’écart dans un massif d’arbres que sa maîtresse lui avait désigné d’un geste. Je n’avais jamais vu ce visage, mais ce n’était pas une raison pour qu’il n’appartînt pas à la maison Grimani, dont, certes, je n’avais pas vu tous les serviteurs. Je répugnais à l’interroger et à tenter de le corrompre. Je résolus d’aller trouver la Checchina ; je savais le temps qu’il lui fallait pour faire la plus simple toilette ; elle ne devait pas encore être en présence de la visiteuse, et je pouvais entrer dans sa chambre sans traverser le salon d’attente. Je connaissais le mystérieux passage par lequel l’appartement de Nasi communiquait avec celui de ses maîtresses. Cette villa de Cafaggiolo étant une véritable petite maison dans le goût français du xviiie siècle.

Je trouvai en effet la Checchina à demi vêtue, se frottant les yeux et s’apprêtant avec une nonchalance seigneuriale à cette matinale audience.

— Qu’est-ce à dire ? s’écria-t-elle en me voyant entrer par son alcôve. — Vite, un mot, Checchina, lui dis-je à l’oreille. Renvoie ta femme de chambre. — Dépêche-toi, me dit-elle quand nous fûmes seuls, car il y a là quelqu’un qui m’attend. — Je le sais, et c’est de cela que je viens te parler. Connais-tu cette femme qui te demande un entretien ? — Qu’en sais-je ? elle n’a pas voulu dire son nom à ma femme de chambre, et là-dessus je lui ai fait répondre que je ne recevais pas, surtout à sept heures du matin, les personnes que je ne connais point ; mais elle ne s’est pas rebutée, et elle a supplié Teresa avec tant d’insistance (il est même probable qu’elle lui a donné de l’argent pour la mettre dans ses intérêts), que celle-ci est venue me tourmenter, et j’ai cédé, mais non sans un grand déplaisir de sortir si