tôt du lit, car j’ai lu les amours d’Angélique et de Médor fort avant dans la nuit.
— Écoute, Checchina, je crois que cette femme est… celle que tu sais. — Oh ! crois-tu ? en ce cas va la trouver, je comprends pourquoi elle me fait demander, et pourquoi tu entres par le passage secret. Allons, je serai discrète, et charmée surtout de me rendormir tandis que tu seras le plus heureux des hommes.
— Non, ma bonne Francesca, tu te trompes. Si je m’étais ménagé un rendez-vous sous tes auspices, sois sûre que je t’en aurais demandé la permission. D’ailleurs je n’en suis pas à ce point, et mon roman touche à sa fin, qui est la plus froide et la plus morale de toutes les fins. Mais cette jeune personne se perd si tu ne viens à son secours. N’accueille aucun des projets romanesques qu’elle vient sans doute te confier, fais-la partir sur-le-champ, qu’elle retourne chez ses parens à l’instant même. Si par hasard elle demande à me parler en ta présence, dis-lui que je suis absent, et que je ne rentrerai pas de la journée.
— Quoi, Lélio ! tu n’es pas plus passionné que cela, et on fait pour toi des extravagances ! Peste ! Voyez ce que c’est que d’être fat, on réussit toujours ! Mais si tu te trompais, cugino ; si par hasard cette belle aventurière, au lieu d’être ta Dulcinée, était une de ces pauvres filles dont tout pays fourmille, qui veulent entrer au théâtre pour fuir des parens cruels ? Écoute, j’ai une inspiration. Entrons ensemble dans le petit salon ; en faisant avancer le paravent devant la porte, au moment où nous entrerons tu peux te glisser en même temps que moi dans la chambre, te tenir caché, tout entendre et tout voir. Si cette femme est ta maîtresse, il est important que tu saches bien et vite ce dont il s’agit, car ce qu’elle me dira, je te le répéterais mot à mot ; il sera donc plus tôt fait de l’entendre.
J’hésitais, et pourtant j’avais bien envie de suivre ce mauvais conseil.
— Mais si c’est une autre femme, objectai-je, si elle a un secret à te confier ?
— Avons-nous des secrets l’un pour l’autre ? dit Checchina, et as-tu moins d’estime que moi pour toi-même ? Allons, pas de sot scrupule, viens.
Elle appela Teresa, lui dit deux mots à l’oreille, et quand le paravent fut arrangé, elle la renvoya et m’entraîna avec elle dans le salon. Je ne fus pas caché deux minutes sans trouver, au paravent protecteur, une brisure par laquelle je pouvais voir la dame mystérieuse.