Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/361

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
357
LES SOURCES DE ROYAT.

près impossible que l’école réelle ne rencontre pas les contours métalliques que M. Huet a surtout à cœur d’éviter. En copiant successivement les feuilles, les branches et l’écorce d’un arbre, en dressant procès-verbal de tous les cailloux semés sur le premier plan d’un terrain, comment n’arriverait-elle pas à faire de la nature entière une feuille de tôle diversement pliée ? Car, dans son ardeur de littéralité, l’école réelle copie les nervures et le réseau cellulaire de chaque feuille ; elle analyse et reproduit les lichens qui recouvrent l’écorce de l’arbre. Elle compte les brins de laine, lorsqu’elle dessine un mouton ; si elle veut peindre une table de chêne ou de noyer, elle suit d’un œil patient les veines du bois et les calque sur la toile. M. Huet a compris le danger d’une telle méthode ; il a senti toute la puérilité d’une telle imitation, et, dans la crainte de succomber à la tentation d’être fidèle, il s’est interdit la précision des contours. À notre avis, il s’est laissé emporter trop loin par cette crainte salutaire ; le désir d’éviter la littéralité l’a privé d’une qualité précieuse, sans laquelle il n’y a pas de popularité possible, je veux dire de clarté. Il a évité la sécheresse de l’école réelle ; mais il a donné de la pâte de sa peinture une mollesse uniforme, qui abolit les contours en prêtant à tous les corps la même solidité. Quoique la couleur de chaque objet soit vraie, cette vérité de couleur ne suffit pas à contenter l’œil. Écrits avec plus de précision, les contours des terrains et des plantes donneraient au tableau une valeur nouvelle. Tels qu’ils sont, les paysages de M. Huet méritent notre admiration ; mais son talent ne sera complet que le jour où il deviendra précis.

Les Sources de Royat méritent les mêmes éloges et le même reproche que les tableaux de l’auteur. On y trouve la même vérité, la même animation, la même grandeur, et, je dois le dire, le même défaut de précision. Le ciel et les arbres méritent surtout d’être loués. La masse des branches se profile heureusement et donne une belle silhouette. Les détails sont multipliés dans une juste mesure, et contentent l’œil sans éveiller une curiosité indéfinie. Grace au choix heureux que M. Huet a su faire, ses arbres décrivent au fond de sa gravure une ligne pleine à la fois d’harmonie et de vérité. Il eût été, je crois, difficile d’imaginer, pour une pareille donnée, une distribution de masses plus savante et plus facile à saisir. Quand au ciel, je n’hésite pas à la regarder comme un morceau capital. Je sais que, dans toutes les questions d’art, il faut plutôt juger l’œuvre en elle-même que le mérite de la difficulté vaincue ; mais lorsque ce dernier mérite vient s’ajouter à la valeur de l’œuvre, il y aurait de l’injustice à n’en pas tenir compte. C’est pourquoi je recommande à l’admiration publique le ciel des Sources de Royat, non-seulement comme un modèle de transparence et de légèreté, mais encore comme un des triomphes les plus éclatans de la gravure à l’eau forte. En effet, il est généralement admis que la gravure à l’eau forte peut difficilement franchir la limite qui sépare l’indication de l’achèvement ; les juges les plus exigeans sont habitués à ne demander à l’eau forte qu’une esquisse avancée, et ne