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donc aussi leur dame, la dame céleste, la dame de tout le monde, comme s’exprime une légende du moyen-âge. Ainsi les sentimens fondamentaux de la chevalerie, soumis à une organisation puissante qui participait de la discipline d’un camp et de la sévérité d’une règle, donnèrent au monde le spectacle de la fortune si brillante de ces ordres qui conquirent des provinces, fondèrent des villes, des empires même ; l’ordre des chevaliers teutoniques est devenu, comme on sait, la monarchie de Frédéric.

Les différentes phases de la vie des ordres religieux correspondent aux périodes successives que nous avons signalées dans la vie générale de la chevalerie ; ils commencent par l’enthousiasme le plus pur, le plus désintéressé, par un admirable dévouement de charité ; les hospitaliers, avant d’être les glorieux chevaliers de Rhodes, et de jouer un rôle dans l’histoire, furent, comme leur nom l’indique, de simples hospitaliers se consacrant à servir les malades en Palestine. L’ordre belliqueux des chevaliers teutoniques, qui conquit une partie du nord de l’Europe, fut fondé par quelques Allemands de Brême et de Munster, qui se trouvaient au siége de Saint-Jean-d’Acre, et qui, sous leurs pauvres tentes, couvertes d’une voile de vaisseau, recueillirent et soignèrent les pestiférés et les blessés. Les commencemens des templiers sont aussi touchans ; mais bientôt se développent dans cet ordre l’ambition et la cupidité ; la vaillance y subsistant toujours, les passions mondaines, les intérêts mondains y pénètrent de plus en plus ; l’histoire de l’ordre et sa fin tragique sont là pour l’attester. L’ordre de Saint-Jean de Jérusalem n’a pas fini tragiquement comme les templiers : il a péri dans la frivolité ; ce grand ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et plus tard des chevaliers de Rhodes,

Rhodes des Ottomans le redoutable écueil,


est devenu l’ordre de Malte, qui, à la fin, n’était plus qu’une décoration insignifiante et une sorte de débouché pour les cadets de famille. Ce passage du sérieux à l’insignifiant se remarque dans la succession même des différens ordres, aussi bien que dans l’histoire de ceux que je viens de citer. Ainsi, après les ordres sérieux sont venus les frivoles ; les princes ont voulu s’emparer de la chevalerie qui expirait, et faire d’une puissance indépendante un instrument de leur propre puissance. Ils ont fondé des ordres dont ils étaient le centre, dont ils traçaient eux-mêmes les règlemens, les statuts, dont ils déterminaient tout le cérémonial ; ils y ont été conduits par une coutume du moyen-