Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/436

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
432
REVUE DES DEUX MONDES.

mencement de la révolution, dans une nuit d’enthousiasme, où tous les débris de la féodalité tombèrent sous les coups de la noblesse de France, aux acclamations des Montmorency et des Clermont-Tonnerre. Mais ce qui est fondé sur une faiblesse si profonde du cœur humain, sur une faiblesse peut-être plus particulièrement propre à notre caractère national, l’amour des distinctions résista même à la révolution française et à cet abandon volontaire ; bientôt l’on vit reparaître, en attendant les ordres proprement dits, les sabres d’honneur, les fusils d’honneur ; puis vint la croix d’honneur, espèce de chevalerie de l’égalité, qui n’a certes rien de féodal, mais qui est toujours un ordre, qui a des grades, où se trouve encore le ruban, dernier vestige de l’ancienne écharpe, et où, à côté du nouveau mot de patrie, figure le vieux mot chevaleresque honneur. Cet ordre est le seul qu’ait épargné la révolution de 1830 ; mais remarquez combien les choses ont, pour ainsi dire, la vie dure, combien elles résistent au temps et aux événemens ; le lendemain de cette révolution, la plus démocratique, la plus populaire qui se soit jamais faite, on a encore imaginé, je ne dirai pas un ordre, mais cependant une espèce d’ordre, une décoration, une croix, qui, je pense, sera la dernière. Aux États-Unis, sur la terre de l’égalité et de la démocratie, on a aussi eu l’idée de créer un ordre, et par un bizarre accouplement de mots, il s’est appelé l’ordre de Cincinnatus ; il a duré quelque temps, mais il y avait là un contre-sens trop fort ; on en a fait justice : les deux partis qui ont divisé les États-Unis, le parti fédéral et le parti démocratique, ont combattu à ce sujet ; le dernier l’a emporté, et a rayé cette anomalie des mœurs du Nouveau-Monde.

J’ai suivi aussi loin que possible cette filiation des ordres chevaleresques pour montrer, par ces exemples, comment les institutions se conservent, se transforment, se perpétuent, se survivent, et, quand leur temps est passé, laissent comme un fantôme, qui n’est pas elles, mais qui porte encore leur nom.

VI.
DES RAPPORTS DE LA CHEVALERIE AVEC L’ÉGLISE

Il y a une opposition éternelle et universelle entre le prêtre et le guerrier ; elle se retrouve partout, depuis la grande lutte des brahmanes et des kchatrias, qui apparaît à l’origine des traditions indiennes, jusqu’aux luttes du clergé et de la féodalité au moyen-âge. La chevalerie eut un double principe d’indépendance et d’opposition vis-