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pour avoir voulu la quitter à cause de lui ; car il sait bien que si je la perdais, jamais je n’aurais de joie, et lui-même ne pourrait m’en dédommager. » Enfin, dans une poésie du comte de Poitiers, le comte dit expressément qu’en partant pour la croisade, il faut qu’il renonce à chevalerie. Ces exemples peuvent faire sentir ce qu’il y avait dans les sentimens chevaleresques d’opposition à ceux que l’église voulait inspirer.

Que fit l’église ? Ne pouvant annuler cette chevalerie qui lui disputait les ames, elle voulut s’en emparer et se faire une arme favorable de ce qui était une arme agressive, trouver un appui dans ce qui était un obstacle. D’abord elle s’empara de la chevalerie en la conférant, en transformant l’investiture militaire en une investiture ecclésiastique. Dès le temps des premières croisades, les patriarches de Constantinople et de Jérusalem donnèrent la chevalerie à ceux qui se croisaient. Au XIIIe siècle, on voit, par une imitation, par une continuation de cet usage, le patriarche d’Aquilée faire des chevaliers avec une solennité tout ecclésiastique ; le patriarche disait une messe pontificale, et le nouveau chevalier, d’une main tenant son épée nue, et l’autre main sur l’Évangile, jurait de défendre l’église, de protéger les veuves et les orphelins, et de servir Jésus-Christ contre les infidèles. Dans ces vœux, l’église et la religion tenaient, comme on voit, la plus grande place. Au XVe siècle, le pape Martin V créa un chevalier. La chevalerie, guerrière à son point de départ, et devenue galante par l’action du temps, des dames et des poètes, reçut l’empreinte de la discipline ecclésiastique dans le mode de son investiture et dans son costume. De là vint la ressemblance, et quelquefois le parallélisme, qui se remarque entre ce qu’on appelait les deux ordres, l’ordre clérical et l’ordre chevaleresque. Ce rapprochement était présent à la pensée des hommes du moyen-âge, et se retrouve dans des traités moins anciens que le moyen-âge. On lit, dans l’ouvrage intitulé l’Ordre de la Chevalerie : « … De même que les ornemens dont le prêtre est revêtu quand il chante la messe ont une signification qui se rapporte à son office, de même aussi l’office de chevalier, qui a grande concordance à celui de prêtre, a des armes et des vêtemens qui se rapportent à la noblesse de son ordre. »

Un grave et savant évêque, Durand, dans son ouvrage de liturgie, intitulé Rationale divini officii, compare les habits épiscopaux avec ceux des chevaliers, et cherche à établir entre eux une communauté de symbolisme. La confusion allait si loin, qu’on se servait souvent du même mot pour désigner les deux ordres, et, comme on disait,