les deux milices. Le moine du Vigeois appelle les prêtres heroes, héros, noms qu’ailleurs il donne aux chevaliers. Un poète du xive siècle, dans un zèle singulièrement entendu, pour rapprocher de plus en plus la chevalerie du clergé, voulait lui imposer le célibat ; sa proposition ne réussit point.
Souvent le chevalier qui se vouait à une entreprise pour plaire à une dame se rasait et se tonsurait à la manière des prêtres ; parfois même une dévotion exaltée transporta au sein de l’église le cérémonial de la chevalerie ; le célèbre fondateur des jésuites, Ignace de Loyola, quand il passa de la milice temporelle à la milice sacrée, voulut solenniser son entrée dans les ordres comme on célébrait l’admission au grade de chevalier. Il accomplit la veille des armes devant une image de la Vierge.
Tous ces faits montrent l’association et souvent la confusion de l’idée du chevalier et de celle du prêtre. On en peut citer encore d’autres exemples assez curieux : tout le monde sait que les chevaliers faisaient vœu de vaincre un certain nombre d’adversaires et de les mettre à la disposition de leurs dames. Un Italien qui avait vaincu un autre chevalier, fit hommage de son prisonnier, pas à une dame, mais aux chanoines de Saint-Pierre : les dames s’empressaient toujours de rendre le captif à la liberté ; mais les chanoines en usèrent moins généreusement, et ce chevalier passa sa vie dans leur couvent.
À cette confusion, qui produit des accidens si bizarres, tient aussi cet ensemble de préceptes et de symboles qui accompagnent l’investiture chevaleresque. Rien ne peut donner une idée plus vraie de ces préceptes et de ces symboles qu’un petit poème appelé l’Ordène de Chevalerie ; le mot ordène vient du latin ordinatio, ordination, terme employé pour désigner l’admission à la prêtrise. Le sujet de ce poème est curieux ; c’est Saladin auquel un croisé français confère la chevalerie. Saladin eut une grande renommée de prouesse et de générosité au moyen-âge ; il fut à sa manière, en Orient et surtout pour les imaginations occidentales, un véritable chevalier ; aussi notre auteur l’appelle-t-il un loyal Sarrazin. Saladin demande à un chevalier français, Hugues de Tabaries (Tibériade), de lui conférer l’ordre de la chevalerie ; Hugues refuse d’abord, et lui dit que cet ordre serait mal placé, car, dit-il :
Vous êtes de mauvaise loi
Et n’avez ni baptême, ni foi.
Mais Saladin insiste ; il est vainqueur, il veut être chevalier à tout