emmener jusqu’aux malades sans exciter de soupçons, on abandonna les malheureux habitans d’un pays déjà ruiné par plusieurs années de guerres, de concussions et de misère, aux vengeances sanglantes des Espagnols.
Toute cette période, si glorieuse pour notre marine et si importante dans son histoire, est traitée avec de grands détails par M. Eugène Sue, et occupe à elle seule, presque tout un volume. C’est ici surtout que les pièces originales qu’il cite ont un vif intérêt poétique et historique, car rien n’est curieux comme de voir des hommes tels que Tourville, Valbelle, Coëtlogon, Duquesne, Ruyter, parler d’eux-mêmes ou les uns des autres, et répandre, dans le récit de l’action, cette ame qui a imprimé toute sa grandeur et toute sa force à l’action même.
Dans l’Atlantique, après de vigoureux débuts à Cayenne et à Tabago, M. d’Estrées, par excès de présomption et insuffisance de talens et de connaissances comme homme de mer, alla perdre ses vaisseaux sur les récifs de l’île d’Avès, ce qui le réduisit à l’inaction jusqu’à la paix de Nimègue, c’est-à-dire pendant un peu plus d’un an.
Ce volume, outre les lettres et les rapports concernant le service ou les expéditions maritimes, contient une note sur les cadeaux qui ont été distribués par Louis XIV à la cour d’Angleterre, depuis 1672 jusqu’en 1682. On sait que Louis XIV avait organisé en Angleterre un admirable système de corruption, qui commençait par le roi, et enlaçait, dans la chambre des communes, non pas les bancs du gouvernement, mais l’opposition, en sorte que, lorsque le malheureux Charles II, fatigué de son assujettissement et humilié de se voir traité par son frère de France comme un homme qui est bien payé et qui doit servir en conséquence, manifestait quelque velléité d’indépendance, une opposition gagée comme lui paralysait tous ses efforts par des refus de subsides ou de tout autre concours, et le rejetait plus que jamais pieds et poings liés dans les entraves dont il voulait s’affranchir. Ainsi, quelles que fussent les oscillations de la bascule politique en Angleterre, Louis XIV pesant toujours de tout le poids de son or sur l’une ou l’autre des deux extrémités, l’indépendance, l’honneur et l’intérêt du pays demeuraient fixés sous ses pieds sans pouvoir jamais se relever. La Monnaie de France se fatigua à frapper des écus pour lester et affermir ces intraitables vertus parlementaires de l’opposition anglaise. Mais il s’agit ici d’une corruption moins brutale et même élégante. Ce n’est plus de l’argent compté à des salariés, ce sont des écrins, des joyaux de prix, des boîtes, des portraits enrichis de diamans, distribués comme des marques flatteuses de considération, et dont la valeur intrinsèque, quoique toujours élevée, semble n’être qu’un accessoire. Soixante-deux présens de ce genre sont mentionnés dans la partie du manuscrit qu’a reproduite M. Eugène Sue, et montent à la somme totale de 554,448 livres. Cette liste est assez curieuse en ce que, indépendamment du fait de corruption qu’elle atteste, elle est en quelque sorte un spécimen de la valeur relative attribuée à chacune des parties prenantes, sur une échelle de comparaison qui va de 600 livres à 52,000. Ce der-