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REVUE DES DEUX MONDES.

Voulez-vous l’entendre au théâtre ? Écoutez-le plaisantant avec son peuple, l’invitant à un petit souper sans façon, à un repas improvisé, comptant avec lui l’argent promis au vainqueur, riant, bouffonnant, faisant de mauvaises pointes pour égayer ses graves Romains.

Voulez-vous l’entendre au sénat ? Une femme est produite comme témoin : « Cette femme, pères conscrits, fut coiffeuse et affranchie de ma mère, mais elle m’a toujours traité comme son maître ; je le dis ici, car il ne manque pas chez moi de gens qui ne me regardent point comme leur maître. »

Le sénat est encore trop heureux de l’entendre ; le premier mois de son règne, il n’a pas osé y venir. Le sénat était traité en ennemi par les empereurs, et quoiqu’il n’eût poignardé personne, ils s’y croyaient toujours en péril. Leur état de frayeur habituelle et les débuts tout tremblans de Claude prouvent bien ce que je vous disais des dangers de leur situation. Dans ces premiers temps, des soldats le servaient à ses repas ; des sentinelles armées de lances étaient debout auprès de sa table ; s’il visitait un malade, étrange courtoisie, il faisait inspecter sa chambre, tâter son chevet, secouer sa couverture.

Les huissiers courent, le sénat est convoqué à la hâte ; un homme a été trouvé armé d’un couteau : Claude assure que cet homme allait le tuer ; il se sent menacé, il se sent frappé, il est prêt à déposer l’empire ; il crie, il répand des larmes, il demande grace, il déplore sa misère en plein sénat.

Mais le sénat, les cliens, la cour, rien de tout cela ne le retiendra long-temps ; sa place est au Forum, entre les juges, les avocats, les greffiers ; son tribunal est vide et l’attend ; les avocats ses amis s’inquiètent de l’absence de ce Perrin Dandin de Rome, qui juge au Forum, juge dans sa chambre, juge les jours de fêtes, et ne laisse pas chômer leurs voix enrouées.

Claude n’est pas un procureur comme Tibère, il juge en équité, il ne se plie pas à la lettre de la loi ; aussi les pauvres jurisconsultes sont-ils délaissés dans leurs demeures, où l’on ne vient plus les consulter. Les avocats triomphent, leur phrase a beau jeu, leur éloquence nage dans le libre océan de la justice naturelle, de la raison supérieure à la loi, de l’esprit affranchi de la lettre.

En outre, pour leur plus grande gloire, le système politique de Tibère prédomine toujours, la carrière des accusations est toujours ouverte, la rhétorique toujours hardie, menaçante, redoutée. L’action de lèse-majesté a été abolie, il est vrai, cela eût fait une difficulté sous un prince légiste comme Tibère ; mais Claude est bon empereur