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tiquité, de la tradition, du souvenir ; il décora quelques anciens sénateurs, quelques fils de gens considérables, d’un titre sans fonction dans la société telle qu’elle était faite : il fallait des patriciens à une république, Claude avait lu cela dans son maître Tite-Live. Il lui fallait aussi un sénat, pour contenter Tite-Live et l’histoire, dont Tite-Live dans son enfance lui avait malheureusement donné le goût. Le pauvre sénat, tel qu’il était, avait été si bien foulé aux pieds par Tibère et par Caligula, si bien mutilé dans ce qu’il avait de meilleur, mêlé de si tristes élémens, que, n’eût-on pas été antiquaire comme Claude, il y avait plaisir à le refaire. Les sénateurs barbares que César avait faits de son vivant, les sénateurs posthumes (orcini) qu’Antoine lui avait fait faire après sa mort, les parvenus d’Auguste, les affranchis de Tibère, tout cela formait un assez triste mélange. Le sénat surtout était pauvre, grand tort dans une assemblée qu’on prétend constituer en aristocratie : les fortunes, trop dangereuses à Rome, avaient fui dans la province, la richesse avait passé aux vaincus.

Épurer le sénat n’était pas le plus difficile. Claude insinua doucement à ceux qui pouvaient se sentir un peu menacés par la note du censeur de se retirer d’eux-mêmes, sans bruit et sans scandale. Rome, qui aimait sa dignité, mais qui tenait en même temps aux ménagemens dus à ses turpitudes, trouva le procédé excellent. Mais le sénat épuré, il fallait le remplir : Claude pensa à ce qu’avaient fait les anciens ; il rappela les Sabins admis au sénat par Romulus, les Volsques et les Étrusques appelés par d’autres ; il repassa toute son histoire romaine, trouva que les Jules étaient d’Albe, les Coruncanius de Camerium, les Portius de Tusculum, qu’en un mot il était dans les traditions des ancêtres d’admettre peu à peu les étrangers à tous les honneurs. Ce n’est pas que Rome n’en murmurât, que les restes de la noblesse n’en fussent scandalisés, que les sénateurs pauvres de l’Italie ne fussent en grande colère contre ces richards de la Gaule qui allaient venir les éclipser sur leurs bancs. Mais Claude, ferré sur ses antiquités romaines, bardé de science et d’histoire, vint au sénat, armé d’un long et puissant discours tout farci d’inutilités, qui commençait par « mes ancêtres, dont le premier, Atta Clausus, Sabin d’origine, etc… » Puis il reprenait les choses à Numa le Sabin et à Tarquin, fils de Démarate de Corinthe, appelé en toscan Mastarna ; de là toutes les querelles du sénat et du peuple, avec des complimens pour Persicus le sénateur, pour Vestinius le chevalier ; puis il s’embarque pour la Gaule, traverse Vienne, s’arrête à Valence, et ici une grande apostrophe à lui-même : « Il est temps enfin, Tiberius César