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regret cuisant, aucun besoin d’épanchement et de confiance. Le doute vague, indéfini, sur lequel il brode des comparaisons ingénieuses, mais choisies au hasard, au lieu d’inspirer l’attendrissement, éveille chez le lecteur un sentiment contraire. On se demande avec dépit s’il est permis de traiter si légèrement une idée si grave, s’il est permis d’assembler, à propos de la douleur, tant d’images coquettes et puériles, et l’on arrive à croire que M. Hugo ne regrette aucune croyance, que toute croyance lui est inutile ou indifférente, qu’il chante pour chanter, sans avoir à nous révéler aucune douleur sincère. Déplorable conclusion que je voudrais pouvoir effacer, mais dont l’évidence me paraît irrécusable ! Voilà pourtant où mènent l’amour et le culte des mots.

Les Voix intérieures, publiées l’année dernière, ressemblent à un arrêt prononcé par M. Hugo contre lui-même. Ce recueil, en effet, envisagé littérairement, est certes supérieur aux Chants du Crépuscule. S’il ne se recommande pas au lecteur par une parfaite unité, du moins il ne révèle pas la même indécision, la même hésitation intellectuelle, que les Chants du Crépuscule. Mais nous devons le dire, et sans doute M. Hugo le sait mieux que personne, les Voix intérieures sont bien loin des Feuilles d’Automne sous le rapport de la vérité humaine, et bien loin des Orientales sous le rapport de l’éclat lyrique. Deux sentimens dominent et remplissent ce recueil : l’orgueil et la colère. Assurément il eût été possible de trouver dans l’orgueil et la colère des inspirations sérieuses ; mais à quelles conditions ? Ne fallait-il pas que l’orgueil fût légitime, et la colère dirigée contre un ennemi réel ? Or, sur quoi se fonde l’orgueil de M. Hugo ? à qui s’adresse sa colère ? M. Hugo s’admire, et se plaint de n’être pas admiré comme il voudrait l’être ; il accuse de jalousie et de perversité les esprits sincères qui se permettent de l’avertir lorsqu’il s’égare. Si M. Hugo se contentait d’applaudir de ses propres mains le talent qu’il a montré, nous aurions le droit de sourire à ce puéril délassement ; mais son orgueil, tel qu’il l’avoue, tel qu’il l’affirme dans les Voix intérieures, mérite une réprimande plus sévère ; car il n’exige pas moins que l’adoration ; il prétend à la toute science, et voit dans toutes les admirations paresseuses ou rebelles l’ignorance ou l’impiété. Arrivé à ces cimes terribles que le regard peut à peine mesurer, M. Hugo devait rencontrer le vertige, et il l’a rencontré. C’est le vertige qui a dicté l’ode à Olympio, c’est le vertige qui a épelé toutes les strophes insensées de cet hymne idolâtre ; c’est lui qui a fait de M. Hugo deux personnes, dont l’une s’agenouille devant l’autre : un prêtre qui brûle l’encens, un dieu qui le respire.