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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

Pour ceux qui étudient d’un œil attentif les maladies de l’ame humaine, c’est là sans doute un curieux, un attendrissant spectacle ; mais en présence d’une pareille métamorphose, en présence de cet homme dieu et prêtre tout à la fois, la critique n’a pas d’arrêt à prononcer, car le malade s’est jugé lui-même. Sans doute, avant de se diviniser, avant de placer son génie sur l’autel et de s’agenouiller devant lui, il a cruellement souffert ; avant de s’avouer l’insuffisance de la gloire humaine et de briser la couronne que la foule avait placée sur sa tête, il a dû lutter avec de terribles visions. Le jour où il s’est cru dieu, il avait épuisé toutes les angoisses de l’orgueil blessé, et il s’est décerné la divinité comme un baume destiné à fermer toutes ses plaies. Le poète qui se résout à l’apothéose, qui se réfugie dans la divinité, ne relève pas de la critique, qui le plaint sans le juger.

Et pourtant la colère de M. Hugo ne connaît d’autre ennemi que la critique ; c’est à cet ennemi seul qu’elle adresse toutes ses invectives, c’est contre lui qu’elle lance ces apostrophes véhémentes qui voudraient exprimer le mépris et qui ne peignent que l’orgueil saignant. Si jamais colère fut injuste et insensée, c’est à coup sûr la colère de M. Hugo ; si jamais invectives furent imméritées, c’est les invectives que M. Hugo adresse à la critique. Jamais poète en effet n’a été traité par la critique avec plus de révérence et de ménagemens. Si l’on veut bien oublier les premières années de sa carrière, et certes à cette époque il n’était pas encore digne de soulever une discussion sérieuse, on sera forcé de reconnaître que depuis dix ans, c’est-à-dire depuis qu’il a trouvé pour sa pensée un docile interprète, M. Hugo a rencontré pour chacune de ses œuvres une attention unanime, un auditoire courageux, désintéressé, clairvoyant, tel enfin que pourrait le souhaiter le plus beau génie. Il s’est fait autour de chacune de ses œuvres un grand silence, puis un grand bruit ; la multitude a écouté dans un recueillement respectueux, puis, après avoir entendu, elle a battu des mains ou protesté par ses clameurs contre la valeur des paroles qu’elle venait d’entendre. Mais cette protestation même est un glorieux hommage rendu au poète ; car la multitude ne dédaigne pas celui qu’elle combat, et bien des poètes, qui ne se plaignent pas, échangeraient, contre la destinée orageuse de M. Hugo, la destinée silencieuse que leur a faite l’indifférence. Sans les tempêtes qu’il a traversées, le nom de M. Hugo n’aurait pas eu le retentissement dont le poète se plaint aujourd’hui avec une ingratitude singulière. S’il voulait la paix, il devait ne pas quitter la plaine ; il a voulu vivre dans la région où vivent les aigles, qu’il se résigne aux périls de son ambition.