Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/759

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
755
POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

entre en scène, mais presque toujours insignifiante, inanimée, dès qu’elle agit et qu’elle parle. Une seule fois il lui arrive d’émouvoir, c’est lorsqu’elle donne à boire à Quasimodo, dans la scène du pilori ; quand elle résiste à Claude Frollo, quand elle veut se donner à Phœbus, elle n’a ni la dignité de la pudeur, ni l’énergie de l’amour. C’est une figure peinte, ce n’est pas une femme. Quant à Quasimodo, qui régit le livre entier, c’est une transformation de Han d’Islande et d’Habibrah, transformation puissante, mais fidèle au type que M. Hugo ne perd jamais de vue ; c’est un monstre soumis à l’inspiration de la bonté, mais c’est un monstre, et nous ne pouvons consentir à croire que les monstres aient droit de bourgeoisie dans le domaine poétique. L’amour de Quasimodo pour la Esmeralda n’est pas un amour humain, c’est le dévouement d’un chien de Terre-Neuve pour son maître. Entre la bohémienne gracieuse et agile comme une abeille, et le sonneur qui résume en lui tous les élémens de la laideur visible, placer l’amour, comme l’a fait M. Hugo, c’est croire que l’étonnement peut remplacer l’émotion, c’est poser l’antithèse comme loi suprême de la poésie. Or, une pareille théorie ne mérite pas même d’être discutée, car elle se réfute d’elle-même.

Est-ce à dire qu’il n’y a pas dans Notre-Dame de Paris un mérite éminent ? Telle n’est pas notre pensée. L’histoire de Paquette Chante Fleurie, quoique racontée peut-être avec une simplicité artificielle, est cependant pleine d’émotion, et n’appartient pas au monde qu’habitent les personnages du roman. La folie de la Sachette n’est pas moins pathétique. Le dirai-je, cependant ? il me semble que dans la peinture du Trou aux Rats, M. Hugo a souvent dépassé les limites de la poésie. Engagé dans une voie vraie, il n’a pas su s’arrêter à temps. Je suis loin de partager l’admiration générale pour la Cour des Miracles ; toutefois je reconnais que cette scène étrange est décrite avec une singulière puissance ; je ne crois pas que toute cette fange, où s’agitent tous ces mendians et tous ces voleurs, malgré toute l’habileté du narrateur, mérite les éloges qu’elle a obtenus ; mais je n’hésite pas à proclamer l’énergie des facultés que M. Hugo a gaspillées dans ce tableau. Je regrette qu’il ait repris, dans Notre Dame de Paris, le plaidoyer qu’il avait commencé dans le Dernier Jour d’un Condamné. Le chapitre qui s’intitule pompeusement : Coup d’œil impartial sur la magistrature, n’est qu’une déclamation ampoulée, verbeuse, inutile au roman, et réprouvée par le bon sens.

Ce qui domine dans Notre-Dame de Paris, ce qui fait le succès de ce livre, c’est le spectacle. Ce livre a réussi, et cependant il s’en