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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/766

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le premier plan, expriment leurs pensées sous une forme exclusivement lyrique ; mais la nature même de leurs pensées, de leur caractère, pouvait donner lieu à des développemens dramatiques. Louis XIII et le marquis de Nangis méritent la même louange et le même reproche. Ils récitent des couplets lyriques, ils ne vivent pas, mais ils pourraient vivre. Quant à la réalité historique de ces personnages, elle ne peut devenir le sujet d’une discussion. Dans la première moitié du xviie siècle, le caractère de Didier n’existait pas et ne pouvait exister. Pour qu’un tel caractère devienne possible, il faut que la poésie lyrique ait créé Werther et René, Lara et Childe-Harold, il faut qu’Uhland et Lamartine aient touché les dernières limites de la rêverie. Marion n’est pas seulement infidèle à l’histoire, mais bien aussi au type même de la courtisane. Son malheur se comprend à peine, tant elle paraît avoir oublié ses premiers désordres. Pour que ce personnage fût humainement réel, sinon historiquement, il eût fallu que le spectateur assistât aux premiers développemens de l’amour de Marion pour Didier, et vît la passion effacer peu à peu les souillures de la débauche, rajeunir et purifier l’ame de la courtisane. La fierté féodale du marquis de Nangis, sans violer directement l’histoire, n’est cependant pas dessinée d’après la réalité. Il est très vrai que l’aristocratie portait la tête haute dans les premières années du règne de Louis XIII ; mais elle résistait à Richelieu en levant des armées, et lorsqu’elle avait une grace à demander, elle ne se présentait pas escortée comme un prince du sang. Loui XIII a été l’esclave de Richelieu, et s’il lui est arrivé de songer à secouer le joug, ce désir chez lui ne s’est jamais élevé jusqu’à la volonté ; mais si faible qu’il fût, il n’avait pas renoncé à l’exercice de son intelligence, et il se dédommageait avec ses favoris de l’autorité despotique du cardinal ; s’il ne gouvernait pas dans le sens le plus élevé du mot, il ne s’interdisait pas la raillerie contre le maître de la France. Le Louis XIII de Marion de Lorme ne ressemble pas au Louis XIII de l’histoire.

Dans Hernani, nous retrouvons tous les personnages, toutes les situations, et je dirais volontiers tous les couplets lyriques de Marion de Lorme. Didier devient Hernani, Marie doña Sol, le marquis de Nangis don Ruy de Silva ; quant à don Carlos, qui, dans la seconde moitié de la pièce, s’appelle Charles-Quint, il est permis de le considérer comme formé de la réunion de Saverny et de Laffemas. Lorsqu’il court les aventures, il continue Saverny ; quand la luxure le pousse à la cruauté, il continue Laffemas. Lorsqu’il pardonne, il ne