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pour se pouvoir diriger dans ce labyrinthe d’Ariane. La poésie est divine ; elle a des ailes et vole en chantant dans l’espace. Que lui importe le reste, les règles ? Mais, en vérité, dans l’art de Virgile, de Pétrarque et de Racine, que sont les règles ? Cela vaut-il la peine qu’on l’enseigne ? Un instant, vers la fin du XVe siècle, il a pu venir à l’esprit de ces dignes artisans de Nuremberg, de Mayence et d’Augsbourg, d’établir en Allemagne des écoles de poésie où l’on dissertait, du matin au soir, sur la valeur d’une syllabe ou la sonorité d’une rime ; mais, à vrai dire, quel fruit a-t-on jamais retiré de toute cette scolastique ? quelle verte moisson est sortie de la poussière qui recouvre tant de parchemins et de volumes oubliés ? Ensuite les maîtrises puisaient aussi leur loi d’être dans un certain besoin de forme et de plasticité qui, à cette époque, se faisait sentir partout en Allemagne, pour que l’esprit humain, qui flotte et va sans cesse d’un point extrême à l’autre point, y trouvât son compte ; à l’indépendance absolue du minnegesang, à la rêverie effrénée qui menait l’art vers la diffusion, devait succéder le contrepoint littéraire qu’on enseignait dans les maîtrises. Mais franchement qui se souvient aujourd’hui de tant d’efforts sincères, de tant de sublimes thèses soutenues pour introduire avec gloire ou chasser honteusement un pauvre petit mot, bien étonné de susciter de semblables querelles ? Les maîtrises devaient disparaître aussitôt, parce que encore une fois la poésie ne s’enseigne point, et n’a que faire d’écoles et de docteurs, tandis que les conservatoires, au contraire, subsistent et se perpétuent, car ils sont dans l’essence de la musique.

Le Conservatoire est le sanctuaire de la tradition ; pour un musicien de génie qui le traverse à chaque siècle, on ne saurait compter la multitude infatigable d’hommes sans vocation, qui s’y croisent en tout sens, occupés d’harmonie et de contrepoint, et perdus dans les abîmes d’une science ou le flambeau de la pensée ne les éclaire pas. Ces hommes-là, d’ordinaire, font bon marché de la nature ; pour eux il n’y a ni étoiles au firmament, ni belles moissons dans les plaines ; ils ignorent si les oiseaux chantent au printemps, si les arbres frémissent, si les vives eaux se répandent et murmurent, et ne veulent rien savoir de ce qui se passe sous le ciel et dans les cœurs. Leur jeunesse se consume à ramasser dans l’œuvre des grands maîtres des provisions dont ils ne manqueront pas de se servir un jour ; ils étudient à loisir comment Mozart fait chanter la statue, Rossini mourir Desdemona, Beethoven pleurer Léonore dans l’affreux caveau, afin que si jamais pareille scène se présente, leur inspiration sache au