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essor, on se demande comment un musicien que le soin de sa renommée préoccupe, peut se mettre à l’œuvre pour écrire de pareilles choses. Je croirais volontiers que M. Halévy se contente de noter les évolutions de ses doigts sur le clavier ; car il m’est impossible d’admettre que le cerveau entre pour rien dans cette affaire. En conscience, il vaudrait mieux désespérer et se taire que chanter au public une semblable musique.

Le premier acte s’ouvre par toute sorte de chœurs de gens du peuple et de condottieri, qui se croisent et se combinent à souhait pour le plaisir des pensionnaires du Conservatoire : voilà tout ce qu’on en peut dire. En général, M. Halévy a pour ce genre de morceaux, dont abonde la partition de la Juive, une affection toute particulière, et cela s’explique. Avec l’expérience qu’il possède de tous les secrets de l’instrumentation, on réussit toujours à traiter ces passions fougueuses, où l’entraînement des sens domine ; on remue l’orchestre dans ses profondeurs ; on fait venir à la surface des imitations plus ou moins ingénieuses ; on s’applique à grouper les voix selon certains procédés qui ne manquent jamais leur effet, et le travail se trouve accompli sans qu’on ait eu la moindre idée à dépenser. Cependant tout à coup, au milieu de ces ténèbres de la science, se lève, comme une étoile dans la nuit, une mélodie heureuse et pure : je veux parler de la romance de Duprez, suave inspiration, qui puise dans la voix du sublime ténor une expression ineffable de mélancolie et de tendresse ; c’est un parfum de rose qu’on respire dans l’air, une douce lumière qu’on suit avec amour. Par malheur cela ne dure guère ; les chœurs reviennent, et les phrases communes éclatent de plus belle ; le frais parfum se dissipe, la douce lumière s’éteint, mais quelque chose dit à l’ame qu’elle retrouvera plus tard cette agréable mélodie égarée dans le tumulte et la confusion.

Au second acte, le duo dans lequel la courtisane fait pacte avec le bandit et lui jette ses colliers et ses bracelets, pour le décider au meurtre de Ginevra, est un morceau qui affiche de grandes prétentions à l’originalité et manque son but parfaitement. On a prétendu que ce duo ressemblait au trio de Stradella ; il n’en est rien. En général, le public se laisse prendre trop facilement aux apparences. Le sujet en est le même, voilà tout ; c’est là tout au plus un emprunt du poète dont on ne peut rendre le musicien responsable. Du reste, si l’on voulait comparer les deux morceaux, M. Niedermeyer conserverait incontestablement toute supériorité sur l’auteur de Ginevra. Le trio de Stradella, traité dans le goût italien, a des tours mélodieux