Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/783

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
779
MUSICIENS FRANÇAIS.

qui vous séduisent ; on aime l’ampleur de cette phrase qui ramène à tout moment l’unité du morceau. Mais ici qu’y a-t-il ? où trouver le dessin et la composition dans cette musique qui se développe sans ordre et pourrait fort bien ne se jamais conclure ? Que sont tous ces tronçons d’harmonie cousus au hasard, par je ne sais quelle phrase d’une trivialité sans exemple, qui devrait se cacher au fond de l’orchestre, au lieu de venir effrontément s’étaler au grand jour à tout propos comme elle fait ? Les airs de danse sont ternes et mal venus ; là comme partout, la verve et l’esprit manquent. Les instrumens éclatent en bruyantes fanfares, toutes les voix joyeuses entrent en danse ; mais dans ce chaos de sons, l’oreille s’efforce en vain de saisir le motif ; on ne peut dire qu’il avorte, attendu qu’il n’existe pas même à l’état d’embryon. Quant à la déclamation ambitieuse du messager qui vient annoncer l’invasion du fléau dans les murs de la ville, elle a le tort immense de rappeler au souvenir le sublime récit du soldat égyptien dans Moïse. Il y a des sujets que le génie a tellement consacrés, que c’est presque une profanation que d’y toucher après lui, et c’est justement à ceux-là que M. Halévy s’adresse avec le plus de complaisance. Ironie ou caprice, M. Scribe ne se lasse pas de les multiplier autour du musicien. Si M. Halévy était un ange de mélodie, on prendrait volontiers M. Scribe pour quelque démon occupé à le tenter par l’orgueil, afin de consommer plus vite sa chute. Dans la Juive, M. Halévy se heurte contre le finale de la Vestale ; ici c’est sur une des plus imposantes inspirations de Rossini qu’il va donner du front. Comment voulez-vous ensuite qu’un musicien de cette trempe résiste à de pareilles épreuves ? Le finale suffirait à lui seul, au besoin, pour attester l’impuissance qui ne se dément pas un seul instant, dans tout le cours de cette partition. Certes l’action donnait beau jeu à la musique. Cette jeune fille qui tombe au milieu d’une fête, et trouve la mort cachée sous les plis de son voile de noces, c’était là un sujet dramatique et bien fait pour émouvoir l’inspiration d’un maître. Or, ce sujet, M. Halévy ne se donne pas seulement la peine de l’aborder ; il y renonce d’avance, et le tumulte de l’orchestre l’aide comme toujours à se tirer d’affaire. Il se passe, sur les dernières mesures de ce finale, une action touchante et d’un bel effet. Ginevra s’évanouit dans les bras de son père, et tandis que tous s’empressent de fuir l’affreuse contagion, Guido s’agenouille aux pieds de la morte et baigne de pleurs sa main inanimée. Il y a dans ce groupe, que la mort réunit au milieu de la désolation commune, quelque chose de calme et de solennel qui contraste singulièrement avec l’effroi tumultueux