Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
REVUE DES DEUX MONDES.

possible de conserver un doute à cet égard. Il est évident que M. Sue, en substituant la biographie à l’histoire, a cédé à un instinct de paresse. Habitué à de faciles succès, il n’a pas eu le courage de consulter les sources qu’il devait connaître, avant de se mettre à l’œuvre ; puis, une fois l’œuvre commencée, il a feuilleté à la hâte quelques livres choisis presque au hasard, et il a pris pour nouveau ce qui n’était nouveau que pour lui. Il nous a présenté comme renseignemens importans et généralement ignorés, des anecdotes, des idées et des faits qui sont entrés depuis long-temps dans le domaine public. Cette erreur était inévitable. La science incomplète et recueillie à la hâte doit toujours produire chez l’écrivain cette enfantine illusion. Plus éclairé, il serait sobre dans ses leçons et ne parlerait du passé qu’avec réserve ; et demi instruit des choses et des hommes qu’il veut peindre, il exagère à son insu la valeur et la nouveauté des idées qu’il expose.

Quant au style de Latréaumont, bien qu’il vise à l’élégance, à la pureté, il n’est vraiment ni plus élégant ni plus pur que le style des précédens ouvrages de l’auteur. Les mots sont souvent détournés de leur sens naturel, ou même pris à contresens. Quelquefois M. Sue applique au passé une expression qui n’a jamais signifié qu’une pensée contemporaine de la parole. Ainsi, par exemple, il lui arrive de dire, en parlant d’un personnage de son livre : Il était apparemment généreux, au lieu de : Il était généreux en apparence. Ce contresens se représente plus de trente fois. Souvent même, j’ai regret à le dire, M. Sue commet des fautes prévues et corrigées expressément dans les traités destinés aux écoles primaires, il ne se refuse ni les femmes prêtes à pleurer, ni les femmes prêtes à s’évanouir. Assurément, il y aurait de l’enfantillage à insister sur ces fautes grammaticales ; mais nous sommes forcé de les indiquer, car si la grammaire ne contient pas le style tout entier, du moins elle expose les lois sans lesquelles il n’y a pas de style possible. La correction ne peut dissimuler ni l’absence de la pensée, ni la pauvreté de l’imagination ; mais elle ajoute constamment à la clarté de la pensée, à la richesse de l’imagination.

M. Sue déclare, dans la préface de Latréaumont, qu’il croit avoir fait une œuvre sérieuse ; la critique, en le prenant au mot, est obligée de se montrer sérieuse à son tour. Elle oublie volontiers les précédens romans de l’auteur, qui sont plutôt des ébauches que des œuvres ; mais elle ne peut voir dans Latréaumont un livre d’une valeur vraiment littéraire. En examinant successivement tous les élémens de ce livre, en discutant le choix et l’ordonnance de ces élémens, elle fait preuve d’impartialité. Mais, bien qu’elle désire encourager la conver-