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ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

tion, en parfaite connaissance de cause, c’est-à-dire après s’être familiarisé avec ces épisodes, avec ces acteurs, par des lectures nombreuses, lentes, sagement choisies, et interprétées à loisir par la réflexion. Or, il est évident que M. Sue n’a satisfait à aucune de ces conditions. Les acteurs de son roman portent des noms historiques, mais l’histoire ne joue aucun rôle dans son ouvrage ; car ni Louis XIV, ni Louvois, ni Colbert, ne sont présentés d’une façon sérieuse. Quoique la nation, sous Louis XIV, différât singulièrement de la génération à laquelle nous appartenons, cependant il est impossible que la disgrace, la conjuration et la mort de Louis de Rohan n’aient pas produit une impression profonde sur la France du xviiie siècle. M. Sue nous devait compte de cette impression. Eh bien ! tout se passe dans Latréaumont comme si la France était muette, comme si la nation se réduisait aux conspirateurs qui ont joué leur tête, aux juges qui les condamnent.

Pour donner à son livre une couleur historique, M. Sue a multiplié les fragmens biographiques. Ainsi, avant de mettre en scène Louis de Rohan, il s’est cru obligé de nous donner une notice tout à la fois très prolixe et très incomplète sur Henri de Rohan, avec qui le cardinal de Richelieu fit plusieurs fois la paix. Cette notice, démesurément longue, puisqu’elle est inutile, ne dispensera pas les lecteurs qui voudront connaître Henri de Rohan d’étudier attentivement les guerres de religion du règne de Louis XIII. Elle n’explique pas un seul trait du caractère de Louis de Rohan, et par conséquent n’ajoute rien à l’intérêt du livre. Sans doute le lecteur qui n’aurait jamais entendu parler du guerrier habile et hardi devant qui plia plusieurs fois la volonté de Richelieu, aurait peine à comprendre comment l’Espagne et la Hollande ont pu traiter avec Louis de Rohan ; mais pour mettre le lecteur au courant du passé, il n’était pas nécessaire de rédiger ou de transcrire une notice biographique. Quelques phrases pleines et concises suffisaient amplement. Cette substitution de la biographie à l’histoire est si fort du goût de M. Sue, qu’il s’est donné le plaisir de rédiger une notice sur la plupart de ses personnages. Il a cru nécessaire de nous raconter les travaux et la vie de Van den Enden avant de l’introduire devant nous. Latréaumont, Auguste des Préaux et la marquise de Vilars ont été annoncés par le même procédé. Ainsi conçu, le roman historique manque évidemment d’animation et d’unité. Ce perpétuel éparpillement de la pensée convertit en une lecture fastidieuse, ou du moins très monotone, un récit qui devrait être nourri d’émotions.

À quelle cause faut-il attribuer ce défaut ? Je ne crois pas qu’il soit