la tripler, sans compter qu’ils décuplent celle des voyages à pied[1]. S’il est possible qu’un jour les chemins de fer laissent les rivières et les canaux autant en arrière, sous le rapport du bon marché des voyages, qu’ils les dépassent déjà quant à la locomotion, il est certain qu’aujourd’hui les bateaux à vapeur sont à la portée de toutes les bourses, même des plus mal garnies. Les bateaux à vapeur offrent un moyen de déplacement plus économique, à la lettre, que le voyage à pied, terme de comparaison auquel je reviens souvent, parce que la tendance invincible du siècle et l’un des titres de gloire qui lui sont réservés pour l’avenir, c’est l’amélioration populaire. Il est certain que la France n’a pas une étendue telle qu’une vitesse moyenne de 4 à 6 lieues à l’heure ne soit suffisante pour faciliter, dans une proportion énorme, le rapprochement des hommes et des choses à l’intérieur aussi bien qu’entre nous et nos voisins immédiats. Par les dimensions de leur territoire, les divers peuples de l’Europe diffèrent beaucoup des États-Unis, et ont, quant à présent, un moindre intérêt à préférer les chemins de fer à tout autre mode de communication. Il n’y aura, à cet égard, parité entre l’Europe et l’Amérique que lorsque sera venu le moment d’une monarchie unique en Europe ; fait que les philosophes peuvent prévoir, mais en vue duquel les hommes d’état et les administrateurs ne sauraient songer à disposer des finances publiques. Il est certain enfin que chez nous, comme sur tout le reste du continent européen, excepté autour des capitales et dans quelques localités privilégiées, le temps n’a pas assez de valeur pour que, dans la vue de l’économiser, on doive s’appliquer, avant tout, avec une prédilection exclusive, à créer à grands frais des moyens de transport qui franchissent 10 lieues à l’heure : c’est encore une dissemblance frappante entre la race anglaise des deux hémisphères et toutes les autres nations.
Voici un fait qui est propre à montrer à quel point le temps est peu apprécié en France. Dans les malles-poste qui se dirigent vers le Midi, il arrive très fréquemment qu’il y ait des places inoccupées pendant que les diligences sont pleines. Or, voici quels sont le temps que l’on perd et l’argent que l’on économise à préférer la diligence :
Il y a de Paris à Toulouse 181 lieues coûtant par la malle-poste | 136 fr. | |
Par la diligence, la place coûte |
90 fr. | |
On fait huit repas de plus à 2 fr. 50 c. ou à 3 fr., disons 2 fr. 50 c. |
20 | |
110 | 110 |
- ↑ Un piéton qui marche le sac sur le dos fait difficilement avec régularité 40 lieues par jour. Un bateau à vapeur, sur une rivière en bon état, peut assez aisément en faire 120 par 24 h.