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REVUE. — CHRONIQUE.

une entreprise littéraire ? Où était alors M. Jaubert ? Se plaignait-il des relations du ministère et des écrivains ? La tribune n’était-elle pas là pour défendre ses amis politiques contre ce qu’il appelle le joug de cette puissance irrégulière ? Non, tout s’efface, tout s’oublie et change au gré de quelques intérêts. À la bonne heure. Qu’on se montre sans fiel et sans rancune, assurément rien de mieux ; mais que cette haine et ce fiel ne se reportent pas aussitôt ailleurs. Qu’on ne se gêne pas avec ses principes politiques, et qu’on les dépose comme des fardeaux trop lourds pour des piétons forcés de monter péniblement au pouvoir ; mais qu’on n’affecte plus le rigorisme et la sévérité à l’égard des autres. Un peu de charité ne messied à personne. Ceci s’adresse aux catholiques comme aux protestans.

Venant à des idées plus sérieuses, ne serait-on pas tenté de s’adresser aux doctrinaires qui demandent, par la bouche de M. le comte Jaubert, et pour eux-mêmes, une grande influence et une haute direction dont la nécessité, disent-ils, se fait sentir, et de les sommer d’exposer leur système ? Nous croyons qu’ils seraient très embarrassés de le faire connaître, car, hors les mesures de rigueur, ils n’ont jamais brillé, que nous sachions, par la décision des vues politiques. Plusieurs questions ont été soulevées par le ministère. Il y a l’Espagne, d’abord. M. Guizot et ses amis veulent-ils ou ne veulent-ils pas l’intervention en Espagne ? Répondront-ils comme fit un jour M. Guizot, au conseil, sur cette même question : « On peut suivre l’une et l’autre voie. » Il y a Alger. Veulent-ils la possession ou l’abandon d’Alger ? Partagent-ils l’opinion de M. Thiers ? Veulent-ils étendre nos possessions ou les laisser stationnaires ? — Et la rente ? Sont-ils pour ou contre la conversion ? S’ils formaient un ministère avec M. Thiers, sur quel principe s’entendraient-ils, à propos de cette mesure financière ? Accorderaient-ils la conversion, afin que M. Thiers renonçât à l’intervention en Espagne ? Cette fois ce ne serait pas là un mariage de raison, car pour l’accomplir il se ferait, de part et d’autre, de bien grands sacrifices ; et ce serait, en réalité, le côté droit abandonné dans son principe vital, et le côté gauche privé de son idée favorite, qui payeraient les frais de la noce et les violons. Viendrait ensuite la question des chemins de fer. Les doctrinaires veulent-ils ou non les grandes lignes ? Les veulent-ils par concession directe ou par concurrence libre ? Préfèrent-ils l’exécution des travaux par l’état ? C’est seulement quand les orateurs doctrinaires se seront exprimés nettement sur ces questions, qu’on pourra leur accorder qu’ils croient sérieusement à la nécessité d’une plus haute direction et d’une plus grande influence politique, quoique cette définition ne soit pas très claire. Alors seulement on saura au juste ce qu’ils demandent, et l’on ne sera pas tenté de croire que ce qu’ils voulaient uniquement, c’était le pouvoir et les fonds secrets.

M. de Montalivet avait bien défini la question à l’égard de M. Gisquet, déjà avant qu’une indisposition ne l’eût forcé de quitter la tribune où il était monté pour répondre aussi à M. Jaubert. M. Guizot en avait jugé ainsi quelques années auparavant. « Une fois, a dit le ministre, qu’on laisse la porte entr’ouverte, elle pourra l’être un jour tout entière. » En effet, un ancien fonctionnaire est-il le juge des révélations qu’il lui plaira de faire ? et n’est-ce pas manquer à la chambre elle-même qui a reconnu la nécessité du secret, quand elle a accordé les fonds destinés à cet emploi ? Le ministre a déclaré qu’il n’entendait pas attaquer l’indépendance du député, qu’un ancien préfet de police