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Mais ces désirs ne s’accordaient point avec les desseins du premier consul. Celui-ci souhaitait qu’on le secondât sans le contredire. Il demandait aux hommes éminens qui avaient concouru à la révolution et qui lui avaient survécu, de faire de son autorité leur croyance comme il en faisait leur asile ; de mettre à son service l’habileté dont ils étaient doués et l’expérience qu’ils avaient acquise ; de l’aider à établir une administration, à créer des codes, à former une magistrature, à fonder une jurisprudence, à élever par le mérite de l’ordre et par la gloire des armes la société nouvelle au niveau et même au-dessus des sociétés d’une autre origine ; et enfin de se contenter d’être puissans sans exiger que les autres fussent libres. Les vues de M. Rœderer ne lui convenaient donc pas. Il l’appelait métaphysicien, et quoique le mot de métaphysicien ne fût pas une déclaration d’hostilité, comme le devint plus tard le mot d’idéologue, ce n’était pas dans sa bouche un mot de bon augure. Être métaphysicien signifiait pour lui n’être pas politique ; il signifiait encore avoir des idées en propre et y tenir. Aussi, en expiation de ces torts d’esprit, M. Rœderer fut relégué du conseil d’état, où tout se faisait, dans le sénat, où tout se conservait. Il apprit sa nouvelle destination par le Moniteur. Lorsque le premier consul le vit, il lui dit en riant : — « Eh bien ! nous vous avons placé parmi nos pères conscrits. » — « Oui, répondit gaiement M. Rœderer, vous m’avez envoyé ad patres. »

Les grands travaux intérieurs finirent vers cette époque pour M. Rœderer. Mais, si Napoléon n’employa plus au dedans cet esprit actif et fécond, dont les principes économiques ne s’accordaient pas avec les siens, et qui voulut donner pour contrepoids à l’hérédité de l’empire l’hérédité du sénat, il s’en servit utilement au dehors. Les armées alors irrésistibles de la France passaient à travers la vieille Europe en y renversant tout ce qui était usé et en y renouvelant tout ce qui était mort. M. Rœderer fut un de ceux qui jetèrent les semences de la révolution française dans les grands sillons ouverts au milieu des landes du moyen-âge.

En 1803, il coopéra à l’acte important de médiation qui procura à la Suisse une existence nouvelle et paisible. Nommé avec les sénateurs Barthélemy, Fouché et Demeunier, membre de la commission chargée de conférer avec les cinquante-six députés helvétiques, il fut le rédacteur de l’acte fédéral élaboré dans ces conférences sous l’inspiration du premier consul, et des constitutions cantonales de Berne, de Zurich, de Soleure, de Fribourg et du Valais. Cette organisation, qui rétablissait la primitive souveraineté cantonale détruite sous le di-