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philosophes. » Cette prévision de Condorcet est pleine de confiance dans la continuité et la force de la science, et digne de celui qui, esquissant les progrès de l’esprit humain, aperçut l’un des premiers la loi de la civilisation humaine et la philosophie de l’histoire. Le fait est que l’étude des différences qui existent entre l’animal foetus et l’animal adulte a jeté le plus grand jour sur les questions de haute anatomie ; elle a appris que tout animal passe, pour arriver à sa forme définitive, par une série de transitions qui éclaircissent bien des difficultés sur l’analogie des organes. C’est une autre espèce d’anatomie comparée : elle présente à l’état simple ce qui doit être un jour composé. Ainsi le canon correspond au métacarpe de l’homme, cet os unique à cinq métacarpiens ; dans le foetus du taureau, il est double, et déjà l’on voit mieux le rapport qui existe entre le métacarpe de ce quadrupède et le métacarpe de l’homme.

On peut à beaucoup d’égards comparer, pour les faire comprendre, les analogies de l’anatomie avec les analogies de l’étymologie. Des deux côtés, les métamorphoses les plus singulières s’expliquent à l’aide de transitions qui lient les formes les plus éloignées ; des deux côtés, l’étude des caractères extérieurs mène à reconnaître des affinités intérieures et à trouver des rapprochemens là où l’on ne soupçonnerait que des différences. Prenons le mot français feu, et suivons-le dans quelques langues voisines : évidemment c’est le mot feuer des Allemands, fire des Anglais, pyr des Grecs ; mais c’est aussi le mot fuoco des Italiens ; fuoco tient à fucus des Latins, auquel se rattache notre mot foyer ; il faut encore y joindre le mot fuego des Espagnols ; mais le mot latin focus tient à fervor, chaleur, d’où viennent nos mots ferveur, fervent. Ainsi voilà, dans plusieurs langues, une multitude de mots, tous différens, il est vrai, mais tous analogues et tous vivifiés, si je puis m’exprimer ainsi, par l’idée commune que tous renferment, l’idée de chaleur.

Ainsi de l’anatomie comparée. L’os humérus, l’os du bras chez l’homme, devient un pied de devant dans le cheval, une nageoire dans la baleine, une aile dans l’oiseau, dans l’ichtyosaurus (animal fossile), un gros moignon, qu’on peut considérer comme formé de la fusion de l’humérus et des deux os de l’avant-bras. Toutes ces formations sont différentes ; mais elles sont analogues aussi, et toutes elles sont vivifiées par l’idée que la nature a voulu réaliser, en les produisant, celle de membre antérieur.

Un des résultats positifs de l’anatomie philosophique est de mettre à néant la doctrine des causes finales, dans laquelle on prétend