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française. Si du moins il eût retiré quelque avantage considérable de la dernière guerre, l’opinion l’eût absous : mais qu’avait-il à offrir pour apaiser les murmures de sa noblesse ? l’Autriche, la seule barrière qui le séparât du colosse français, démantelée et subjuguée, la Pologne sortant de ses ruines, reparaissant sur la scène du monde entourée des sympathies et des vœux d’une partie de l’Europe et impatiente de compléter sa régénération. Puis, l’amour-propre personnel du prince se trouvait gravement compromis : jugeant la crise trop importante pour rester effacé derrière ses ministres, il avait dirigé lui-même la négociation relative au partage de la Gallicie ; il avait mis à découvert sa dignité d’empereur, et le coup était allé le frapper directement et à fond.

Ainsi, orgueil du souverain, dignité nationale, intérêts généraux de l’empire russe, le traité de Vienne avait tout froissé : nul doute que si la crainte ne l’eût contenu, le cabinet de Saint-Pétersbourg n’eût point borné à des plaintes inutiles l’expression de son mécontentement. Mais la situation était grave : déjà la Russie ressentait les effets de l’abaissement de l’Autriche ; elle se voyait isolée et maîtrisée par cette France redoutable dont elle sentait bien qu’elle ne marchait plus l’égale. Il lui fallait modérer l’expression de son dépit, et se soumettre, pour le moment, à un ordre de choses jugé par elle comme une calamité déplorable.

Napoléon ne demandait pas autre chose. Le point important pour lui était qu’Alexandre évitât, dans le moment présent, toute explosion violente, et acceptât le traité de Vienne comme un fait accompli. L’avenir lui restait, et il comptait le mettre à profit pour se faire pardonner le coup qu’il venait de porter aux intérêts de son allié. L’occasion de lui offrir une sorte de réparation vint bientôt se présenter d’elle-même.

La résignation de l’empereur Alexandre avait ses limites. N’ayant point en ce moment la force ni la volonté d’attaquer de front le dernier traité de Vienne, il résolut du moins d’en amortir les funestes effets en obtenant de l’empereur Napoléon que, par un acte solennel et public, les deux empires fixassent, d’une manière irrévocable, le sort du duché de Varsovie et rendissent comme impossible le rétablissement futur de la Pologne. Il insista sur cet acte comme sur la seule garantie qui pût mettre un terme aux alarmes qu’avait excitées, dans son esprit comme dans celui de ses peuples, l’agrandissement récent du duché polonais.

Napoléon se trouva trop heureux de conserver à ce prix un allié qu’il craignait de s’être pour jamais aliéné. Il mit un empressement marqué à céder à ses instances ; il autorisa son ambassadeur à donner au cabinet de Saint Pétersbourg toutes les garanties qu’il pouvait désirer contre le rétablissement futur de la Pologne. Dans son discours d’ouverture au corps législatif (novembre 1808), il annonça hautement qu’il était résolu de ne faire aucune démarche tendant à la restauration de cet ancien royaume.

À ces témoignages de confiance et d’amitié, il en ajouta un dernier plus expressif que tous les autres. Il venait de prendre une décision, l’une des plus