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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

il lui avait écrit de Schœnbrünn une lettre remplie des témoignages les plus affectueux, paraissant avoir oublié tous ses torts dans la dernière guerre et ne se rappeler que les épanchemens de Tilsitt et d’Erfurth. Cette lettre contenait une déclaration formelle de sa part de ne point rétablir la Pologne. Elle accompagnait la copie du traité de Vienne, et elle était destinée à en amortir l’impression fâcheuse. Il est facile de concevoir l’impatience mêlée d’inquiétude avec laquelle l’empereur, de retour d’Allemagne, attendait les premières nouvelles de son ambassadeur. Ces dépêches si vivement attendues le trouvent à Fontainebleau entouré des hommages et des respects des rois ses alliés, empressés à venir le complimenter sur ses derniers triomphes. Elles recevaient des circonstances un intérêt extrême.

Le duc de Vicence avait remis lui-même entre les mains de l’empereur de Russie la copie du traité du 14 octobre. Alexandre l’avait lue avec une extrême attention, sans proférer un mot, mais avec un visage troublé et mécontent. La lecture achevée, il était tombé dans un silence morne et plein de tristesse comme un homme frappé d’un coup inattendu. Il en était sorti par ces mots : « Je suis mal récompensé d’avoir remis mes intérêts dans les mains de l’empereur Napoléon, et de l’avoir secondé, comme je l’ai fait, dans la guerre et les négociations. Il semble qu’on ait pris à tâche de faire justement le contraire de ce que j’avais demandé. » Puis, il avait ajouté que ses intérêts blessés ne l’empêchaient point de sentir tout le prix de la paix ; « il l’acceptait telle qu’elle avait été signée, et il l’exécuterait loyalement. »

Le comte de Romanzoff, obligé à moins de ménagemens, mit à nu la pensée intime de son gouvernement. « Évidemment, dit-il à notre ambassadeur, vous cherchez à remplacer l’alliance russe dont vous ne voulez plus par celle du grand-duché. » Le cabinet de Saint-Pétersbourg ne se borna point à des plaintes verbales : il adressa une note au duc de Vicence, note pleine de reproches et d’amertume. « L’empereur Napoléon, y était-il dit, dispose de sa propre volonté de 2,400,000 habitans appartenant à un pays occupé par les troupes russes qui l’ont conquis : l’adjonction de 2,000,000 d’ames au grand-duché de Varsovie va développer la puissance de cet état, nourrir la pensée de ses habitans, partagée par l’opinion du monde, qu’il est destiné à redevenir royaume de Pologne. Sa majesté le dit sans hésiter : elle était en droit de s’attendre à un autre dénouement. »

Bientôt le peuple russe avait eu connaissance du traité. Heureuse enfin de sympathiser cette fois avec les sentimens du souverain, l’opinion, jusqu’alors mal contenue, avait fait explosion ; toutes les voix s’étaient élevées pour déplorer la faiblesse du czar, son dévouement sans mesure pour un allié perfide qui venait d’y répondre par une ingratitude dont l’histoire n’offrait point d’exemple. Il était impossible de le méconnaître ; la Russie tout entière se sentait atteinte dans sa dignité comme dans ses intérêts les plus chers, par l’agrandissement du duché de Varsovie et par l’affaiblissement démesuré de l’Autriche. Alexandre personnellement en était désespéré. Depuis quatre ans, il luttait avec effort contre les passions de son peuple en faveur de l’alliance