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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

moment, la Russie et à se conserver libre pour l’avenir, dans tout ce qui touchait au sort futur des Polonais. Mais si le projet russe exigeait beaucoup trop, le projet français n’accordait pas assez. Sur une question où se trouvaient en jeu ses plus chers intérêts, il était évident que la Russie ne se contenterait point d’une garantie aussi incomplète. En effet, elle se montra blessée du rejet de sa convention. Rapprochant les premières facilités de notre ambassadeur de nos refus actuels, elle dit que c’étaient les deux phases diverses d’une négociation commencée sous l’inspiration d’une pensée amicale, et terminée sous une influence secrètement hostile, les expressions de deux systèmes, le premier tout russe, le second tout autrichien. Alexandre s’en expliqua personnellement avec beaucoup d’amertume à Caulaincourt. « La convention, dit-il (11 mars 1810), telle que l’a faite la France, et avec ses termes ambigus, n’est plus rien ; son but est manqué. L’empereur m’avait promis les assurances les plus positives ; probablement alors il voulait les donner, pourquoi ne le veut-il plus ? La convention, telle que je la désire, telle qu’elle m’est nécessaire, ne donne rien à la Russie, n’ouvre aucune porte à son ambition ; elle ne lie les mains qu’à quelques brouillons polonais, qui voudraient encore troubler le monde. Il ne peut mettre dans la même balance un épisode douteux, qui attaquerait les droits de tous les souverains, ceux même de l’Autriche, à laquelle il s’allie, avec les intérêts de la Russie, qui n’a cessé de lui être dévouée. » Puis il ajouta que Napoléon changeait sans cesse, tandis que lui, depuis Tilsitt, avait tout fait pour tranquilliser tout le monde. « Ma modération et la justice de ma cause, dit-il, sont notoires ; ce ne sera pas moi qui troublerai la paix de l’Europe ; je n’attaquerai personne, mais si on vient m’attaquer, je me défendrai. »

Ces paroles décelaient une inquiétude profonde et, pour la première fois, le pressentiment d’une guerre avec l’Occident. C’est qu’en effet l’avenir se montrait à ce prince sombre et menaçant. Les nouvelles de Vienne lui apprenaient que cette cour fatiguait maintenant le chef de la France de son ardeur servile, s’abandonnait à lui sans mesure, et l’excitait même secrètement contre la Russie. Ainsi la pensée de Napoléon siégeait dans les conseils de Vienne comme elle régnait déjà à Berlin, à Dresde et à Varsovie. Plus de barrières entre Alexandre et son terrible rival. La violence des évènemens les a mis en présence ; mais Alexandre est seul, tandis que Napoléon dispose de presque toutes les forces du continent. Aujourd’hui qu’à l’occident comme au centre il a brisé toutes les résistances, soumis toutes les volontés, voudra-t-il s’arrêter ? Oui peut-être, jusqu’à ce que l’Angleterre et l’Espagne soient vaincues. Mais ces deux ennemis abattus, respectera-t-il la Russie, restée libre encore et intacte ? Pourra-t-il résister aux chances séduisantes d’une lutte décisive, dont le but sera la dictature de l’Europe, et le moyen, la restauration complète de l’ancienne Pologne.

Telles sont les craintes qui assiégent l’esprit du czar et tous les membres de son conseil. Aussi se montre-t-il inflexible dans ses demandes de garantie contre le rétablissement de la Pologne. Il renvoie à Paris un nouveau projet