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commencement de la guerre, de prostituer leur pavillon à l’Angleterre. Ils naviguaient publiquement pour son compte ; ils étaient devenus les facteurs de son commerce, ses intermédiaires directs avec tous les marchés du continent. Une condition préalable était donc nécessaire pour que le système continental fût applicable et portât ses fruits, c’était que le lien par lequel notre ennemi se rattachait au continent fût brisé. Le décret de Berlin (21 novembre 1806) fut un premier coup porté à la navigation des neutres. Ce décret, que nous rappelons à dessein, mettait en état de blocus les Îles Britanniques et interdisait l’entrée des ports de la France et de ses alliés à tout bâtiment, quel qu’il fût, venant directement d’Angleterre et de ses colonies. Lorsque ce décret fut rendu, nous étions en guerre avec une partie du continent, et son application se trouvait restreinte à nos ports et à ceux de nos alliés. Mais la paix de Tilsitt et l’alliance maritime que nous conclûmes alors avec la Russie, lui donnèrent un caractère européen ; il devint la loi du continent, la véritable base du système continental.

En présence d’une coalition aussi formidable, l’Angleterre vit bien qu’elle n’avait que le choix entre deux alternatives, désarmer la France, en lui demandant la paix, ou obtenir des neutres le sacrifice absolu de leur pavillon. Elle aima mieux combattre que de fléchir, et elle lança ses fameux ordres du conseil du 11 novembre 1807. Non-seulement elle déclara bloqués tous les ports du continent qui étaient fermés à son pavillon, mais encore elle exigea des neutres, sous peine de confiscation de leurs bâtimens, qu’ils se soumissent à la visite de ses croisières, qu’ils relâchassent dans ses ports avant d’aller aborder un port étranger, et, en cas de réexportation de leurs chargemens, qu’ils lui payassent un droit. Ces dernières mesures dépassaient toutes les limites de la violence et de la tyrannie. L’Angleterre disait à tous les neutres : « Le continent me ferme ses ports et vous y appelle : eh bien moi, je vous les interdis à mon tour, à moins que vous ne consentiez à les aborder pour mon propre compte. Le continent proscrit mon pavillon ; soit, le vôtre m’en tiendra lieu ; je vous déclare que je ne reconnais plus de neutres ; vous me prêterez votre pavillon, vos navires, vos équipages, et vous irez vendre mes produits, comme s’ils étaient les vôtres, sur les marchés de l’Europe ; sinon je saisirai, je brûlerai, je coulerai à fond vos navires ; en un mot vous serez à moi tout entiers, sans réserve, ou vous disparaîtrez de la mer. »

Les dernières mesures de l’Angleterre ne pouvaient rester sans réponse. Si Napoléon se fût arrêté au décret de Berlin, son système se fut évanoui avant d’être appliqué. Il suivit hardiment son adversaire dans la voie où il était engagé, et il lança ses décrets de Milan (19 novembre et 11 décembre 1807). Ces décrets déclarèrent dénationalisé, devenu propriété anglaise, et par conséquent confiscable tout navire qui aurait touché en Angleterre, qui aurait souffert la visite de ses vaisseaux, qui aurait payé à son gouvernement un tribut quelconque, ou qui enfin serait simplement convaincu de destination pour un port anglais. Le décret de Berlin s’était borné à écarter de nos ports la marchandise anglaise sous quelque pavillon qu’elle se présentât ; les dé-