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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/231

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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

crets de Milan allaient bien plus loin ; ils allaient l’atteindre et la saisir en pleine mer sous le pavillon neutre qui lui servait de manteau. C’est comme si, à son tour, l’empereur Napoléon eût tenu ce langage aux neutres, c’est-à-dire aux Américains : « L’Angleterre fait depuis quatorze ans à la France une guerre implacable ; c’est elle qui a organisé et soldé toutes les coalitions qu’il lui a fallu vaincre et qui l’ont forcée, pour lui résister, à s’emparer d’une partie du continent. C’est elle qui, encore aujourd’hui, trouble toutes ses gloires, toutes ses prospérités, et qui rend la paix impossible. Maintenant qu’elle a détruit mes escadres et celles de mes alliés, je n’ai plus le choix des armes pour la combattre et la réduire : il faut que je la frappe au cœur de sa puissance, que je lui ravisse cet immense marché du continent qu’elle inonde de ses produits, et d’où elle pompe ces richesses avec lesquelles elle arme et solde tous mes ennemis. Ces marchés, je vous les livre : mon système tend à émanciper le continent de la tutelle de l’industrie anglaise, et à mettre entre vos mains le monopole du commerce des denrées coloniales. Vous avez donc un intérêt immense à le soutenir, et vous ne pouvez le soutenir qu’en faisant respecter votre neutralité. Depuis quatre ans, vous la laissez indignement outrager par mon ennemie ; vous lui prostituez votre pavillon, qui n’est plus qu’un mensonge et qui me fait mille fois plus de mal que si vous me déclariez franchement la guerre. Le moment est venu de vous prononcer : faites respecter votre neutralité, et vous n’aurez pas de plus ferme alliée que la France, ou humiliez-vous sous la tyrannie de l’Angleterre, et dès-lors vous n’êtes plus neutres, vous devenez Anglais, vous êtes mes ennemis, et je vous traiterai comme tels. »

Les États-Unis, saisis et frappés par les deux puissances qui se les disputaient avec tant de fureur, ne virent qu’un moyen de leur échapper à toutes les deux, ce fut de s’interdire toute navigation avec elles. Le 22 décembre 1807, ils mirent l’embargo dans tous les ports de la république : mais les négocians de l’Union violèrent la défense de leur gouvernement ; leurs navires continuèrent de naviguer dans les mers d’Europe pour compte anglais. Alors le gouvernement fédéral eut recours à une mesure plus énergique, il remplaça l’embargo par l’acte de non-intercourse (1er mai 1809). Cet acte interdit formellement, sous diverses pénalités, aux Américains toutes relations commerciales avec l’Angleterre et la France, déclara les ports de l’Union fermés aux navires de ces deux puissances, et frappa de confiscation tous ceux qui y pénétreraient. Cette fois encore, la cupidité l’emporta chez les négocians des États-Unis sur le respect des lois de leur pays ; ils ne se soumirent pas plus à l’acte de non-intercourse qu’à l’embargo, en sorte que leurs navires se trouvèrent dénationalisés non-seulement par les décrets français, mais aussi par la législation de leur propre gouvernement. On les vit se livrer sans pudeur au plus honteux des trafics, celui de leur pavillon, le prostituer sur tous les points du globe à l’Angleterre, et, par cette lâche condescendance, lui livrer le commerce du monde. Jamais leurs relations avec elle ne furent aussi multipliées que pendant l’année 1809. L’état de l’Europe