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n’eut réellement rien envoyé au jeune homme, elle vit qu’il y avait moyen de lui faire prendre le change ; elle répondit, il est vrai, qu’elle ne savait de quoi il lui parlait ; mais elle eut soin, en disant cela, de sourire avec tant de finesse et de rougir si modestement, que Pippo demeura convaincu, malgré les apparences, que la bourse venait d’elle. « Et depuis quand, lui demanda-t-il, avez-vous à vos ordres cette jolie négresse ? »

Déconcertée par cette question, et ne sachant comment y répondre, Monna Bianchina hésita un moment, puis elle partit d’un grand éclat de rire et quitta brusquement Pippo. Resté seul, et désappointé, celui-ci-renonça à la visite qu’il avait projetée ; il rentra chez lui, jeta la bourse dans un coin, et n’y songea pas davantage.

Il arriva pourtant, quelques jours après, qu’il perdit au jeu une forte somme, sur parole. Comme il sortait pour acquitter sa dette, il lui parut commode de se servir de cette bourse, qui était grande, et qui faisait bon effet à sa ceinture ; il la prit donc, et, le soir même, il joua de nouveau et perdit encore.

— Continuez-vous ? demanda ser Vespasiano, le vieux notaire de la chancellerie, lorsque Pippo n’eut plus d’argent.

— Non, répondit celui-ci, je ne veux plus jouer sur parole.

— Mais je vous prêterai ce que vous voudrez, s’écria la comtesse Orsini.

— Et moi aussi, dit ser Vespasiano.

— Et moi aussi, répéta d’une voix douce et sonore une des nombreuses nièces de la comtesse ; mais rouvrez votre bourse, seigneur Vecellio : il y a encore un sequin dedans.

Pippo sourit, et trouva en effet, au fond de sa bourse, un sequin qu’il y avait oublié : Soit, dit-il, jouons encore un coup, mais je ne hasarderai pas davantage. Il prit le cornet, gagna, se remit à jouer en faisant paroli, bref, au bout d’une heure il avait réparé sa perte de la veille et celle de la soirée : Continuez-vous ? demanda-t-il à son tour à ser Vespasiano, qui n’avait plus rien devant lui.

— Non ! car il faut que je sois un grand sot de me laisser mettre à sec par un homme qui ne hasardait qu’un sequin. Maudite soit cette bourse ! elle renferme sans doute quelque sortilège.

Le notaire sortit furieux de la salle. Pippo se disposait à le suivre, lorsque la nièce qui l’avait averti lui dit en riant :

— Puisque c’est à moi que vous devez votre bonheur, faites-moi cadeau du sequin qui vous a fait gagner.

Ce sequin avait une petite marque qui le rendait reconnaissable.