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LE FILS DU TITIEN.

un conseil d’ami et pas une parole équivoque. Ceci est un cartel amoureux envoyé par une femme de cour ; n’eût-elle pensé à moi qu’un jour, il faut bravement relever le gant.

Il se remit à l’œuvre, et, en reprenant sa plume, il était plus agité par la crainte et par l’espérance que lorsqu’il avait joué les plus fortes sommes sur un coup de dé. Sans réfléchir et sans s’arrêter, il écrivit à la hâte un sonnet, dont voici à peu près la traduction :

Lorsque j’ai lu Pétrarque, étant encore enfant,
J’ai souhaité d’avoir quelque gloire en partage.
Il aimait en poète, et chantait en amant ;
De la langue des dieux lui seul sut faire usage.

Lui seul eut le secret de saisir au passage
Les battemens du cœur qui durent un moment,
Et, riche d’un sourire, il en gravait l’image
D’un bout d’un stylet d’or sur un pur diamant.

Ô vous qui m’adressez une parole amie,
Qui l’écriviez hier et l’oublîrez demain,
Souvenez-vous de moi qui vous en remercie.

J’ai le cœur de Pétrarque et n’ai pas son génie ;
Je ne puis ici-bas que donner en chemin
Ma main à qui m’appelle, à qui m’aime ma vie.

Pippo se rendit le lendemain chez la signora Dorothée. Dès qu’il se trouva seul avec elle, il posa son sonnet sur les genoux de l’illustre dame, en lui disant : « Voilà pour votre amie. » La signora se montra d’abord surprise, puis elle lut les vers, et jura qu’elle ne se chargerait jamais de les montrer à personne. Mais Pippo n’en fit que rire, et, comme il était persuadé du contraire, il la quitta en l’assurant qu’il n’avait là-dessus aucune inquiétude.

IV.

Il passa, cependant, la semaine suivante dans le plus grand trouble, mais ce trouble n’était pas sans charmes. Il ne sortait pas de chez lui, et n’osait, pour ainsi dire, remuer, comme pour mieux laisser faire la fortune. En cela, il agit avec plus de sagesse qu’on n’en a ordinairement à son âge, car il n’avait que vingt-cinq ans, et l’impatience de la jeunesse nous fait souvent dépasser le but en voulant l’at-