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SALON DE 1838.

plutôt l’inexpérience du jeune temps ? car le temps d’autrefois, le temps où vécurent nos pères, fut bien réellement le jeune temps, et le vieux temps n’est pas encore venu.

Quoi qu’il en soit, il fallut bien des paroles et bien des pages pour prouver que le mieux n’était pas tout-à-fait l’ennemi du bien, et que, parce qu’on était, ou qu’on croyait être arrivé au bien, on n’en devait pas moins chercher le mieux. Mais à la longue, et à force de répéter cette idée, on parvint à la loger dans la tête du public. Les raisonnemens des novateurs commençaient à faire justice des sophismes des partisans du statu quo ou de l’immobilité dans les arts ; il fallait maintenant faire prévaloir les œuvres et triompher dans la pratique comme dans la théorie. Avouons-le, ce triomphe fut loin d’être complet ; la foule des pillards, qui, voyant le commencement de la déroute des classiques, se mêlaient dans les rangs de l’armée des novateurs, compromit le succès de leur cause. Un moment même on la regarda comme tout-à-fait perdue, car les grecs, se voyant débordés, essayaient encore une nouvelle transformation, et cherchaient le gracieux par opposition aux formes un peu rudes de leurs adversaires ; la Psyché de Picot et la Galathée de Girodet furent la dernière expression de cette manière. Elle reconquit un instant les suffrages du public, qui fut sur le point d’abjurer le nouveau culte et de retourner aux vieilles idoles. Fort heureusement pour les novateurs et pour la cause de l’art véritable, qui ne peut que gagner à l’indépendance et à l’absence de la routine, l’homme qui se trouvait alors à la tête du mouvement était un de ces génies vigoureux que n’arrêtent dans leurs audacieuses tentatives, ni la résistance obstinée de leurs adversaires, ni la folie de leurs partisans.

Par horreur du style de ceux qui les ont précédés et contre lequel ils sont en révolte, et par une sorte d’esprit de contradiction qui fait les grands artistes, les novateurs sont portés à exagérer les défauts qu’on leur reproche, défauts qui sont d’ordinaire l’opposé de ce style. Michel-Ange est outré, parce qu’il est venu après une époque de peinture froide et pétrifiée ; mais s’il n’était pas outré, aurait-il ses grandes qualités, serait-il Michel-Ange ? David avait été précis et rigoureux dans son dessin, froid dans sa couleur, parce qu’il succédait aux Vanloo. Le peintre qui se plaça à la tête de ceux qui s’insurgeaient contre l’école du bas-relief, devait réactionnairement être le peintre du mouvement violent et de l’expression énergique. Ce peintre, c’est Géricault ; le tableau du Radeau de la Méduse est la plus haute expression de son talent, qui ne put se développer et porter tous ses fruits.

La Méduse était un acte de double opposition, opposition artistique et opposition politique ; aussi cette toile fut-elle froidement accueillie par les juges qui, en matière d’art, décidaient alors du bien et du mal. On avait daigné ouvrir les portes du Musée à cette effrayante croûte, répétaient les plus surannés d’entre eux, pour que le public se chargeât de la leçon.

« Il me tarde d’être débarrassé d’un grand tableau qui m’offusque lorsque j’entre au salon, écrivait, dans un compte-rendu du salon de 1819, un