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SALON DE 1838.

MM. Jacquand, Henry Scheffer, Decaisne, Colin, Canzi, Schopin et Mailand, l’ont fait avec adresse et vérité en même temps ; les autres, comme MM. Clément Boulanger, Durupt, Madrazo, de Haussy, Devéria, Picot, Mausaisse, Cibot, et Mlle Clotilde Gérard, avec plus d’apprêt et de fausse naïveté.

M. Jacquand a fait d’immenses progrès. Il s’est encore contenté cette fois d’être le suppléant de M. Delaroche, et il a eu grand tort. M. Jacquand doit avoir une plus haute ambition et se faire un style à lui. Son tableau du Jeune Gaston dit l’Ange de Foix, qui se laisse mourir de faim, est exécuté avec habileté, mais beaucoup trop dans la manière de M. Delaroche. Tout y est traité dans le goût des Enfans d’Édouard, dont il semble une réminiscence. La pose et le costume de l’Ange de Foix, le coloris correct, brillant, mais monotone dans son éclat, les étoffes toutes neuves, les accessoires, clés, meubles, boiseries, fraîchement sortis des mains de l’ouvrier, tout dans ce tableau accuse un parti pris d’imitation, qui à la longue annihilerait le talent de M. Jacquand. Son Charlemagne est une merveille pour le fini, chaque détail est précieusement travaillé ; mais ce tableau pèche par l’absence de couleur et de vérité locales. Toute cette cour du grand Karl est trop polie ; je ne vois là aucun de ces terribles Francs, qui pour les Italiens d’alors n’étaient toujours que des barbares. Les évêques qui posent la couronne de fer sur la tête de Charlemagne devraient-ils être costumés comme les évêques du sacre de Charles X. On les croirait ordonnés d’hier. Le Prêche de M. Scheffer a obtenu un succès mérité ; c’est un de ces tableaux sages qui plairont toujours au cœur comme une page de Fénelon ou de Vauvenargues. Mêmes reproches à M. Decaisne qu’à M. Jacquand : son Entrée de Charles VII à Rouen est une bien pâle traduction de M. de Barante. M. Colin aborde tous les sujets odalisques, scènes tirées de Shakespeare, costumes du XIVe siècle, vierges, femmes de bandits, malades, Calabrais, tout pour lui est matière à tableau ; M. Colin est un peintre brillant et singulièrement facile, mais qu’il se défie de cette facilité qui souvent n’est qu’un don fatal. Il y a de l’analogie entre le talent de MM. Schopin et Canzi et celui de M. Colin ; M. Schopin est plus adroit et plus correct, M. Canzi est plus châtié. M. Mailand est décidément le peintre de Mme de Maintenon ; l’an dernier il nous avait fait assister à sa mort ; il l’a ressuscitée cette année, et il nous la montre berçant les enfans du roi, et congédiant Mme de Montespan sa rivale. Mme de Montespan va s’éloigner du palais pour jamais. — Mon Dieu, dit-elle, en jetant un regard sur le lit qui lui rappelle des péchés qu’elle ne peut ni ne veut haïr, mon Dieu, il faut donc quitter ce pays ! — Vous lui faites bien de l’honneur de le regretter, lui répond Mme de Maintenon, tout en ouvrant saintement la porte par laquelle sa rivale va sortir. Les progrès de M. Mailand sont sensibles ; sa couleur est vraie, harmonieuse, et sa touche fine et légère, mais ses personnages manquent de distinction et ne disent pas assez nettement ce qu’ils devraient dire. M. Clément Boulanger est le chef des maniéristes de l’école du moyen-âge ; s’il a voulu éblouir, il a réussi : mais tout en visant à l’éclat, faut-il encore faire de la peinture qu’on puisse regarder, et