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SALON DE 1838.

croyons, nous, qu’il y a abus, mais cet abus nous paraît moins un indice qu’une cause de décadence. Diderot, qui faisait de la philosophie à propos de tout, à propos même de peinture, aurait-il eu raison d’avancer que la peinture du portrait et l’art du buste devaient être surtout en faveur dans les républiques où il convient d’attacher sans cesse les regards des citoyens sur les images des défenseurs de leurs droits et de leurs libertés ? Devons-nous l’abondance de portraits qui nous oppriment à notre monarchie quasi républicaine ? Nous en doutons fort. Nos peintres se soucieraient fort peu de reproduire les traits assez vulgaires de nos Caton et de nos Cicéron, si nos Caton et nos Cicéron payaient mal ; ils ont mieux à faire que cela. Les petites maîtresses bourgeoises qui vont à la cour et l’aristocratie du boulevart ont remplacé les grandes dames et les marquis de la vieille monarchie, et nos peintres copient ces nouveaux originaux. À tout prendre, mieux valent encore, pour l’art, les robes de satin et de velours, les dentelles et les cheveux nattés, que les paniers, les robes à fleur et la poudre ; le frac noir, la redingote et le pantalon, que les culottes et l’habit de taffetas. Quant au masque, il est toujours le même, minaudier, provocant ou plein d’une modestie apprêtée chez les femmes, prétentieux ou ridiculement grave chez les hommes. La faute en est-elle aux artistes ou à leurs modèles ? Le public seul peut en décider ; mais quand le public se donne la peine de juger, il le fait d’une manière commode. Il renvoie les parties dos à dos, donnant tort à chacune d’elles, au modèle parce qu’il est ridicule, à l’artiste parce qu’il lui a mis ce ridicule sous les yeux.

Quelques hommes de talent se résignent cependant à braver les jugemens du public, à subir les caprices du modèle et à passer par toutes les tribulations attachées à la dure condition de portraitistes. MM. Winterhalter, Court et Dubuffe sont de ce nombre. M. Winterhalter, nouveau débutant dans la carrière, est l’élu du jour ; tout lui sourit. M. Winterhalter s’est inspiré surtout des ouvrages de Léopold Robert ; il a assoupli le dessin un peu raide du maître, rompu et rendu plus suave et plus varié son coloris entier et parfois monotone ; il a été plus vivant et plus coquet que Léopold Robert, tant s’en faut pourtant qu’il soit arrivé à la hauteur du grand et infortuné peintre des Moissonneurs. Cette fois, le Portrait du prince de Wagram est le meilleur ouvrage de M. Winterhalter. C’est de la peinture large, moelleuse, mais moelleuse jusqu’à la fadeur ; l’agencement de ce portrait est excellent, et on trouve quelque chose de vraiment magistral dans le sans-gêne et le naturel de la pose. La Jeune Fille de l’Arricia, du même artiste, n’est qu’une fraîche et brillante esquisse ; la couleur a du charme, la pose est pleine de grâce et d’abandon ; cette peinture vit ; ces yeux à demi voilés vont s’ouvrir, la jeune fille va se lever, reprendre son tambourin et danser, et cependant ce n’est pas là une œuvre complète et sérieuse. C’est le fruit d’un heureux caprice, une éblouissante improvisation. Le papillottage de l’ensemble et le manque de solidité des ombres, qui font ressembler ce tableau à une grande aquarelle, justifieraient au besoin les critiques que nous hasardons. M. Win-