Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/408

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
404
REVUE DES DEUX MONDES.

à clous d’or ou des bahuts richement sculptés, tantôt les dalles luisantes d’une salle flamande, dont il décore un salon de Londres. M. Roqueplan ne s’est pas seulement contenté des accessoires ; avait-il besoin d’un air de tête, d’un bras potelé ou d’une jolie main délicieusement étudiée ? Terburg et Metzu sont si riches, qu’ils pouvaient bien les lui prêter. Et ce Rembrandt si avare, c’était de toute justice de le mettre aussi à contribution ; M. Roqueplan lui a donc pris ses glacis chauds et dorés, et il les répand avec la même profusion sur ses toiles, qu’éclaire un jour franc et un plein soleil, que Rembrandt dans ses compositions les plus caverneuses. Aussi perd-il en légèreté et en vérité ce qu’il gagne en harmonie ; ses chairs étant toujours jaunes, ses blancs roux, ses bleus verts, ses rouges orangés ou bruns ; et cependant, hâtons-nous de le dire, malgré cette facilité à emprunter, qui n’est peut-être qu’un abus de mémoire, M. Roqueplan n’en est pas moins l’un des premiers peintres de fantaisie de l’époque. Pourquoi ? Parce que tout ce qu’il emprunte, il sait merveilleusement le faire valoir, et que, comme un fils de famille riche et prodigue, il doit encore plus à la nature sa mère qu’à tous ses créanciers réunis. Cette année, le Van-Dyck à Londres est un brillant résumé de toutes les qualités et de tous les défauts de l’auteur du Congrès de Munster et du Lion amoureux. Quant à la Madeleine si rose et si coquette, nous croyons volontiers qu’elle fait pénitence ; mais s’y prendrait-elle autrement pour rappeler ses amans et recommencer à pécher ?

M. Granet, qui place toujours une action intéressante sur un théâtre dont l’aspect seul est saisissant, a peint cette fois une Scène d’Hernani et un Abeilard lisant une lettre d’Héloïse. M. Granet s’est maintenu à sa hauteur, c’est beaucoup. M. Granet est le plus vigoureux et le premier de nos peintres dans le genre anecdotique appliqué à l’intérieur. M. Granet et M. Decamps, qui, cette année encore, nous a tenu rigueur, sont de ces hommes qui ont un sentiment exquis de la nature et du vrai, et qui sont naturalistes en obéissant à leur imagination. L’Église de Belem de M. Dauzats, et la Cathédrale d’Auch de M. Renoux, sont, avec l’Hernani et l’Abeilard de M. Granet, les meilleurs tableaux d’intérieur de l’exposition. Jamais la touche de M. Renoux n’avait été plus vigoureuse et plus magistrale. La Sœur de charité de M. Bourdet est une naïve et intéressante élégie ; la Sœur veille au pied du lit d’un artiste mort. Un tableau inachevé du Calvaire et une palette encore chargée de couleurs sont suspendus aux murs dépouillés de la mansarde ; un vieux coffre sert de table ; une grosse couverture de laine brune est jetée sur le corps du peintre, dont on aperçoit confusément les formes ; ces accessoires, habilement et simplement traités, répandent sur cette composition une tristesse vraie et sentie. M. Bourdet n’a ni le brillant ni l’adresse de M. Roqueplan ; nous préférons cependant sa simple et mélancolique composition à l’éblouissant Van-Dyck. La peinture de M. Roqueplan flatte l’œil, celle de M. Bourdet parle au cœur ; mais peut-être M. Bourdet n’a-t-il fait là qu’une heureuse rencontre ? Attendons.

Les Femmes grecques, de Mme Blanchard, sont un tableau tout viril de