Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/422

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
418
REVUE DES DEUX MONDES.

dignement qu’une femme peut l’être, et n’ayant aucun indice qui puisse jeter le doute dans son esprit, elle s’éloigne de son malheureux époux et se réfugie au sein de sa famille, là, les pleurs et les sanglots qu’elle laisse échapper en apprenant la détresse du pauvre comte, les reproches qu’elle se fait de sa dureté envers lui, et ses efforts pour le faire sortir de prison, donnent au lecteur la mesure vraie de la bonté de sa nature et de la profondeur de sa passion.

À l’égard du jeune de Horn, le développement de son caractère offrait de grandes difficultés. De tous les personnages du roman, c’est celui qui a la position la plus fausse. Il paraît dans le monde revêtu d’un faux titre, revendiquant une immense fortune qui ne lui appartient pas et surprenant la bonne foi d’une jeune fille qui croit à ses titres et à sa richesse. Comment intéresser avec une telle façon d’être et de semblables allures ? L’auteur cependant y est parvenu. Il lui a donné d’abord vingt ans, et l’a doué de toute l’imagination romanesque de la première jeunesse ; puis il a entouré de mystère son berceau, il a élevé à l’entour une masse de faits assez vraisemblables, pour que le fils de l’horloger Brandt puisse croire à sa naissance aristocratique. Il le fait tomber ensuite dans les mains d’un homme riche, puissant, considéré, qui, voulant s’en servir comme d’un instrument pour un but infâme, le fortifie dans ses espérances, le salue du titre de comte devant le monde, et le compromet de manière à ce qu’il ne puisse pas reculer. Ajoutez à cela la passion de l’amour, qui s’empare de cette jeune tête avec toute la fraîcheur et l’ivresse printanière des premiers sentimens, les combats de la conscience, qui se réveille et s’insurge dans son cœur, et l’entraînement fatal des circonstances, vous aurez une nature bonne et simple, mais pleine de trouble et d’hésitation ; vous aurez un coupable, mais un coupable digne de la pitié la plus grande, de la sympathie la plus vive. Le but de l’auteur a été atteint ; la position scabreuse et équivoque du personnage a été acceptée ; elle est devenue même une source abondante d’intérêt. Quel est maintenant le coin saillant de son caractère ? À considérer le limon dont l’a pétri le romancier, et à voir sur quel haut terrain il l’a placé, ce devait être la timidité. En effet, elle se manifeste dans ses actes et dans ses paroles. Elle est le résultat de sa jeunesse, de son éducation imparfaite, de son peu d’habitude du monde, et surtout de cette honnêteté de cœur qui ne peut se faire à une route qui n’est pas très droite. Elle perce dans les momens les plus doux, dans ceux qu’il passe auprès de sa maîtresse. Toujours elle l’accompagne devant son protecteur infernal, le baronnet ; et lorsque, maudissant enfin celui qui l’a foulé aux pieds et brisé comme un verre, il se redresse à son tour, et dans son exaspération s’élance pour frapper l’infame à la face, cette timidité reparaît, elle le force à baisser le bras, et il balbutie presque comme un enfant devant l’homme auquel il veut arracher la vie. L’ascendant de Shelton sur lui a été si fort, qu’il le domine encore. Ce dernier trait est juste et nous semble d’une grande beauté. En général, le personnage du comte de Horn est habilement posé. Dans beaucoup de mains, il aurait complètement dis-