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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

plus grande garantie de sécurité sociale, l’honneur chevaleresque, mais l’honneur chevaleresque revendiqué au nom d’une seule caste, ce qui est naturellement une insulte pour les autres. Enfin, il va jusqu’à médire de la science, vertige vraiment affligeant chez un homme de science. Il est vrai que pour se concilier les sentimens nationaux, il sacrifie la France à l’Allemagne, et trouve même du bon dans les crimes des démagogues allemands comparés à ceux des révolutionnaires français. Toutes ces cajoleries adressées à l’antique Teutonia ne le sauveront pas des sifflets de la jeune Allemagne, à laquelle il s’est imprudemment attaqué. Il est triste de voir un vieillard risquer la dignité de toute sa vie contre de tels adversaires dont il ne connaît même pas le côté faible. Pour nous, un pareil ouvrage est précieux comme symbole : il nous en apprend plus sur les causes du malaise qui tourmente l’Allemagne que ne le pourraient faire vingt articles politiques à priori.


Cavalier-Perspective (le Point de vue du Gentilhomme, etc., par le chevalier de Lelly[1]). — On pourrait croire qu’un esprit de nationalité mal entendue nous a dirigé dans notre appréciation des professeurs qui font des romans au-delà du Rhin. Voici venir un Allemand qui dit sur la littérature légère des hommes d’université de ces choses qui nous auraient mis mal à l’aise. Cédons-lui la place pour un moment, car nous n’avons guère occasion de nous blaser sur des révélations de cette espèce.

« On ne voit, dit M. de Lelly, que romans pesans sortir de têtes pesantes. On y trouve à foison, il est vrai, des maximes de sagesse élucubrées dans la chambre et applicables à la chambre ; mais cela n’a point de racines dans la vie et ne porte par conséquent aucun fruit pour le monde………… La sagesse véritable ne s’apprend jamais dans les livres, heureusement. La sagesse n’est pas plus fille de la mémoire qu’elle n’est vêtue de malpropreté, quoique nous puissions être tentés souvent de le croire……… La plupart de nos savans manquent complètement de la connaissance des hommes et du sens pratique. Aussi se trouvent-ils devant tous les évènemens de la vie comme devant cette image miraculeuse du Christ qui était toujours d’une palme plus haute que chaque homme qui s’y mesurait, si grand ou si petit qu’il fût. Ils ne savent se prêter à aucune situation ; pas une n’est à leur taille. J’en ai connu qui n’étaient d’aplomb que dans leur chambre, et qui apparaissaient au milieu du moindre cercle étranger, non comme des rêveurs, mais comme des sauvages hébétés, sans ressort et sans défense, avec un corps maladif, la figure appauvrie, et les sens ruinés par l’immobilité, idiots finis dans toutes les gaies sciences de la vie. Peut-on leur demander un ton convenable dans la parole ou dans l’action, une conversation aimable, un goût distingué, ou même quelque trace de dignité ? On ne remarque en eux que la myopie, suite des lectures poudreuses, et une poitrine rétrécie par la fumée de la lampe. Voici pour une partie de nos écrivains. Les autres, qui

  1. Leipzig, chez Brockaus. — Paris, chez le même, rue de Richelieu.