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n’ont pas, comme les premiers, l’excuse de la profondeur, décrivent la triste situation qui leur est propre, des enfans affamés et criards, etc., toutes vraies misères de philistins. Ce sont les sujets qu’on traite dans la seconde classe de nos romans, ou qui forment les traits distinctifs de la physionomie des auteurs… C’est par là, et non par la frivolité, ni par l’engouement des productions étrangères, qu’on s’explique pourquoi la très grande partie de nos lecteurs se tourne vers les livres français et anglais. Au moins n’y trouve-t-on pas les sujets empaillés d’un cabinet d’histoire naturelle, mais des êtres vivans, bien qu’étiolés quelquefois. Les auteurs n’y portent pas de ces éternelles figures de Sisyphe, comme les savans desséchés, ou comme les chevaux de renfort au pied des montagnes. Leur horizon est plus étendu, ils se meuvent plus librement dans leur atmosphère, et gagnent tout de suite par la confiance et par l’aplomb. On reconnaît tout d’abord à la forme qu’on est en bonne compagnie… »

Voilà de ces choses que jamais nous n’eussions osé dire, et qu’on ne se permet, il faut l’avouer, que dans les querelles de famille.

Pourtant M. le chevalier de Lelly pourrait être récusé avec justice. Il prend, comme l’indique son titre, son point de vue de haut, et ne laisse tomber qu’avec pitié son regard sur les gens de lettres. Faire plaisir aux hommes comme il faut, leur retracer les scènes que leur imagination caresse le plus volontiers, combler les lacunes de la littérature mondaine, et rudoyer, en passant, les pédans qui se croient propres à tout, même à cette tâche, tel est son but : c’est, comme on voit, l’aristocratie intelligente qui se révolte contre la souveraineté du peuple. À merveille ! Le siècle désormais doit comprendre ainsi la lutte : c’est le concours, et ce n’est déjà plus la guerre.

En attendant que les gentilshommes écrivent pour tout le monde, M. de Lelly n’a fait son livre que pour les heureux. Il a plusieurs chapitres sur les moyens de faire fortune. L’axiome autour duquel tourne sa doctrine est qu’il faut d’abord dépenser beaucoup. Dans son système, pour devenir riche, il faut l’être déjà, et se mettre en train de ruine pour décupler le fonds avec les revenus. Puis vient un exemple pris dans sa vie, exemple qui n’est pas trop concluant ni trop vraisemblable. En retraçant l’existence de Paris, l’auteur a manqué lui-même aux préceptes qu’il donne à ses compatriotes. Il est possible que son parisianisme paraisse achevé à Magdebourg ou à Berlin ; pour moi, j’y trouve quelquefois un haut-goût tudesque : la finesse d’observation, quoique réelle, n’y est pas toujours suffisante. Entre autres inexactitudes, l’auteur fait aller à Barèges une belle et jeune merveilleuse. En sa qualité d’homme de plaisir et d’élégance, il devrait savoir qu’il faut être bien tristement malade pour aller s’ensevelir à Barèges, affligeant hôpital de nos pauvres soldats inutiles ; d’ailleurs les gens ainsi malades ne comptent pas dans les livres des heureux. Ailleurs il attribue à Champfort un mot de La Rochefoucault. Il décline toute prétention à l’érudition ; mais ce n’est là qu’une fanfaronnade, car ses chapitres sont grossis et allongés outre mesure de considérations, citations et allusions historiques, empruntées à tous les temps et à