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CONGRÈS DE VÉRONE.

contestera pas que s’il l’a conçue comme homme d’état, la fatalité des circonstances l’a conduit à la faire comme ministre de parti. Que sa résolution fût prise dans sa conscience, lorsqu’il reçut de M. de Villèle le portefeuille de M. de Montmorency, ou qu’il ait été soudain entraîné par les hommes dont il acceptait alors l’influence, peu importe pour l’histoire ; mais ce qui doit être envisagé comme une irréparable calamité pour la Péninsule aussi bien que pour la France, c’est que celle-ci se soit jetée dans cette immense entreprise, sans aucune idée arrêtée sur la nature et le résultat de son action politique dans la Péninsule ; c’est que la direction en ait été abandonnée, dès l’origine, au parti qui, en passant les Pyrénées, pensait beaucoup moins, comme M. de Châteaubriand, à la frontière du Rhin et à l’Amérique méridionale, qu’il ne songeait à conquérir, avec une chambre à sa dévotion, le droit d’aînesse, le sacrilége, une loi de la presse et tant d’autres belles choses encore.

Livré à sa seule inspiration, l’auteur de la Monarchie selon la Charte aurait infailliblement envisagé la guerre d’Espagne sous un double rapport : d’une part, comme moyen de relever la France en face du monde, de l’autre comme une magnifique occasion de placer la maison de Bourbon à la tête des idées de liberté régulière, qui fermentaient alors avec tant d’énergie dans toute l’Europe méridionale, seul rôle qu’elle pût se créer en dehors de l’influence austro-russe qui dominait l’Europe. Il eût compris, sans aucun doute, que nous ne pouvions pas arracher l’Espagne à l’anarchie pour la rejeter dans le despotisme, sans compromettre notre avenir autant que le sien, et sans assumer devant l’opinion et l’histoire la responsabilité d’une réaction ignoble autant que sanglante ; il eût repoussé, comme une mauvaise et dangereuse pensée, celle de ressusciter en Espagne, sous la protection de nos baïonnettes immobiles, sinon complices, un absolutisme stupide ; il n’eût pas dit sérieusement que nous n’avions pas le droit d’influer sur l’avenir politique de l’Espagne, du moment où, au prix de tant de sacrifices, nous intervenions si directement dans ses propres affaires ; son cœur libéral et français se fût soulevé au spectacle d’ingratitude et d’ineptie que nous nous préparions à nous-mêmes, en entrant en Espagne sans avoir fait nos conditions avec une faction aussi incapable de reconnaître notre générosité que de gouverner le pays livré sans réserve à la merci de ses vengeances ; enfin son esprit éminent n’eût pas manqué de comprendre qu’un triomphe de cette nature exalterait de ce côté-ci des Pyrénées les plus folles prétentions et les plus dangereuses espérances.