Ce n’est pas que le pacha industriel n’ait cherché à s’approprier la puissance de cet agent physique, et à appliquer l’invention de Watt, non-seulement aux filatures de coton et à la fonte des métaux, mais encore à certains usages plus spéciaux à l’Égypte, par exemple à l’égrènement du riz. Mais, d’abord, les machines qu’il a fait venir d’Angleterre lui ont coûté énormément ; ensuite, il est obligé de payer très cher le combustible pour les alimenter, et d’avoir constamment des mécaniciens anglais pour les soigner et les surveiller. Malgré toutes ces précautions, la plupart se sont dérangées, et, sur sept à huit machines à vapeur qui sont aujourd’hui en Égypte, à peine une ou deux peuvent-elles régulièrement fonctionner. Quand nous visitâmes les fabriques de Boulak, en 1834, nous fûmes surpris de trouver toutes les machines à vapeur immobiles et silencieuses, et des bœufs, grossièrement attelés au plus barbare des mécanismes à roue, remplacer les chevaux de vapeur pour mettre en mouvement les métiers. À Rosette, la superbe machine pour battre et écosser le riz, qui a, dit-on, coûté plus de 2 millions de francs, n’est pas non plus en état de fonctionner, et l’on a été obligé de revenir aux anciens procédés égyptiens. On éprouve une espèce de serrement de cœur en voyant tant de travail inutilement perdu, et en contemplant ces hautes cheminées en briques rouges, qui n’envoient plus dans les airs ces colonnes de fumée qui signalent au loin la présence du mouvement producteur. Le pacha semble reprocher aux négocians anglais de lui avoir fourni de mauvaises machines, et aux mécaniciens de ne les avoir pas convenablement soignées et surveillées ; de leur côté, les fournisseurs et les ingénieurs rejettent la faute sur l’impéritie des ouvriers égyptiens, sur la stupidité des nazirs, et même sur le climat. Ils disent que la poussière, le soleil et l’humidité sont des obstacles insurmontables que la nature même du pays oppose à l’introduction et au succès des machines en Égypte. Cette opinion a été surtout répandue en Europe, et paraît même y avoir acquis une certaine consistance. Il faut bien reconnaître pourtant que ces difficultés ont été grossies et exagérées, peut-être afin de se tirer d’embarras. En effet, il y a bien plus de poussière en France ou en Italie qu’en Égypte, qui est un pays inondé et couvert d’eau pendant un tiers de l’année ; et certes, les brouillards de l’Angleterre sont bien autre chose que la légère humidité de l’atmosphère égyptienne. Quant au soleil, on s’en garantit très bien dans un bon bâtiment bien construit, et quoiqu’il soit sans doute plus fort et plus ardent qu’en Europe, il ne l’est pourtant point assez pour percer des murs de pierre.
Les bâtimens des manufactures égyptiennes ont presque tous été construits par Mohammed-Ali, sur des plans européens. Ce sont des parallélépipèdes allongés, à un seul étage, percés d’une série de larges croisées, et recouverts d’une toiture plate. Quelques-uns pourtant ont un certain grandiose, mais tenant à la dimension du bâtiment et à sa position sur la rive du Nil, plutôt qu’à la construction elle-même. Les filatures de coton sont disséminées sur