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l’impôt direct à cette même date. Suivons M. Géraud dans les chiffres auxquels il est arrivé, et voyons si l’importance des résultats obtenus répond au luxe d’érudition archéologique qui entoure le document publié, et aussi aux 654 pages in-quarto, qui lui ont été consacrées dans la Collection du gouvernement.

Dans un livre estimable sans doute par les recherches, mais qui n’a dû sa réputation usurpée qu’à une combinaison forcée, qu’à un arrangement très peu loyal de textes contraires au clergé et à la noblesse, M. Dulaure, s’appuyant sur des données sans valeur, sur des calculs purement hypothétiques, avait fixé le chiffre de la population de Paris, en 1313, à quarante-neuf mille habitans. M. Géraud renverse ce résultat évidemment faux, comme il serait facile de renverser beaucoup des assertions gratuites de M. Dulaure. À l’aide des textes empruntés à Godefroy de Paris, à Jean de Saint-Victor et à Froissart, et plus ou moins habilement combinés, M. Géraud arrive, dans son appréciation, au nombre plus raisonnable, mais bien hypothétique et hasardé pourtant, de deux cent soixante-quinze mille habitans. Un manuscrit authentique sur lequel il s’appuie, indique d’une manière positive l’existence de 61,098 feux et de 35 paroisses à Paris, en 1328, c’est-à-dire, d’après les calculs d’une statistique modérée, de 274,940 habitans ; ce qui, en faisant exactement la part de l’augmentation du territoire pendant les trente-six années de 1292 à 1328, donnerait pour résultat 215,861 ames à Paris, en 1292. Or, selon le livre de la taille publié par M. Géraud, le total de l’impôt levé cette année sur les Parisiens était de 12,218 livres et 14 sous parisis, c’est-à-dire de 303,160 fr. en valeur absolue, et de 1,515,801 fr. en valeur d’échange. Si, à la fin du XIIIe siècle, la taille était, comme cela paraît probable, du cinquantième du revenu (plus anciennement elle n’avait été que du centième, ainsi que l’a établi M. de Pastoret), la richesse de Paris, en 1292, présentait donc un revenu net de 75,790,050 fr. De notre temps, cette richesse, abstraction faite du commerce, est montée au-delà de 280 millions, en supposant que l’impôt ne soit actuellement que du dixième du revenu, tandis qu’il est en réalité du sixième sur les maisons.

Enfin, en répartissant également sur la masse de la population parisienne le total des impôts directs, on trouve, toute proportion gardée, qu’en 1292, chaque contribuable aurait payé 7 fr., tandis qu’en 1838 il n’en serait pas quitte à moins de 39 fr. 20 centimes. C’est là un résultat singulier et qui sans doute eût été aussi agréable au comte de Boulainvilliers qu’importun à l’abbé de Mably. J’ai de très plausibles raisons pour ne pas en inférer trop vite la supériorité de l’organisation féodale sur le régime constitutionnel ; mais il y a là pourtant de quoi étonner, sinon déconcerter les théoristes de la progression humanitaire.

En 1292, le plus riche imposé, Gandouffle le lombart, payait 114 livres 10 sous, c’est-à-dire 2,657 fr. Les menues gens, au contraire, y compris le roi des ribauz, sont portés seulement pour 12 deniers. Peu des noms des familles les plus opulentes en 1292 se sont conservés dans la bourgeoisie