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DOCUMENS SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

partout. On est étonné, dit M. Depping, en parcourant la liste des objets de commerce et d’industrie qui venaient du dehors ou qui de Paris passaient aux provinces, on est étonné de la frugalité des Parisiens d’alors, et des limites restreintes de leurs besoins et de leurs goûts. N’ayant pas, comme nous, la ressource des journaux, des affiches et des écriteaux, les marchands faisaient crier leurs annonces dans les rues. Des coutumes puériles se mêlaient aussi aux sages mesures du Livre des Métiers ; pour le droit de péage, par exemple, les merciers, au lieu d’argent, donnaient au collecteur une aguille ou une atache de poitevine. Les jongleurs étaient tout-à-fait exempts de cette redevance ; cependant un article porte que le marchand qui apportera un singe pour le vendre, paiera quatre deniers ; que si le singe appartient à un homme qui l’ait acheté pour son plaisir, il ne donnera rien ; qu’enfin, si le singe appartient à un jongleur, il le fera, pour toute solde, jouer devant le péager. Les peuples comme les hommes ressemblent volontiers au péager du moyen-âge et se laissent souvent rétribuer avec la même monnaie.

Dans le livre si curieux des métiers d’Étienne Boileau, où j’ai glané, au hasard, quelques faits qu’il me serait facile de multiplier, chacun des cent métiers a son réglement à part. On ne trouve pas toutefois, dans cet énoncé, la congrégation des bouchers. Cet état pourtant était exclusivement exercé, à Paris, par un certain nombre de familles, qui transmettaient leurs étaux du parvis Notre-Dame, puis du Châtelet, comme un héritage à leurs descendans. Suffisamment reconnus, les bouchers ne firent pas, sous Louis IX, enregistrer leurs statuts par Boileau et ne se mirent pas sous la dépendance de la prévôté. Au milieu de la république des corporations, ils formèrent une espèce de république à part, se gouvernant elle-même, d’après des coutumes traditionnelles non écrites et faisant juger ses différends à un chef de son choix.

Nous ne saurions qu’applaudir à la publication du Livre des Métiers. Les corporations dégénérées furent violemment abolies par la constituante, et on n’en retrouverait guère de traces effacées que dans quelques-unes de nos provinces. Au moyen-âge, et au sein de la société féodale, elles ont servi d’égide aux classes ouvrières ; elles ont été une association, une garantie industrielle, comme la commune avait été une association, une garantie politique. Le registre de Boileau, avec les Assises de Jérusalem, avec la Coutume du Beauvoisis, de Beaumanoir, complète donc les notions qu’il est historiquement nécessaire d’avoir sur les différentes branches du droit coutumier en France, avant le XIVe siècle. Il se distingue par une justesse de vues, une sagesse et une mesure qui ne peuvent être encore le résultat du retour des esprits vers la jurisprudence romaine, et qui étonnent chez ces simples bourgeois. Une profonde différence sépare, en effet, le Livre des Métiers de Paris des statuts vagues et symboliques des corporations allemandes. On y sent déjà percer cet esprit français si net, si prompt, qui, en législation, brillera plus tard avec tant d’éclat dans Cujas et dans Dumoulin. M. Depping a pu-